Diversité et externalités des associations de culture en agriculture biologique

13 septembre 2024

par
Lise
Association vertueuse blé-pois
Association vertueuse blé-pois

Introduction

60 500 productrices.eurs français sont engagés en agriculture biologique (AB) en 2022, soit 14% des exploitations françaises et 10.7% de la SAU nationale. Le cahier des charges AB impose des réglementations plus strictes que le système conventionnel, notamment l’arrêt de l’utilisation de produits phytosanitaires et des engrais minéraux de synthèse. Ces productrices.eurs doivent alors trouver de méthodes ingénieuses et innovantes pour protéger leurs cultures (des insectes, ravageurs et adventices) ainsi que pour les fertiliser en minéraux. L’association de cultures devient alors un levier pertinent pour restituer des éléments nutritifs aux cultures suivantes ainsi que lutter contre l’enherbement et créer des écosystèmes plus résilients.

I. Diversité d’associations sur une même parcelle

A. Les cultures multiples d’un point de vue spatio-temporel

Associations de cultures

Une association de culture correspond à la présence simultanée de plusieurs espèces ou variétés sur une même parcelle, où au moins une des cultures est récoltée, et où l'association apporte un bénéfice à au moins une des cultures. Ces associations seront le thème de cet article, à ne pas confondre avec le relay-cropping, la double culture et le semis sous couvert, dont une rapide présentation est faite ci-après.

Relay-cropping, double culture et semis sous couvert

Le relay-cropping consiste à ce qu’une seconde culture relaie une première, avec un chevauchement sur la parcelle à partir du stade épiaison de la première culture. Les deux cultures sont bien récoltées la même année. C’est par exemple le cas d’un orge-soja. A ne pas confondre avec une double culture, qui elles n’ont aucun période commune sur la même parcelle. La moisson de la première culture s’enchaine avec le semis de la seconde. C’est le cas d’un seigle en cive puis un soja.

Le semis sous couvert est une technique qui consiste à implanter une culture directement dans un couvert végétal sans avoir préalablement travaillé le sol. Ainsi les deux cultures partagent une même parcelle sur toute la vie de la seconde culture. Un exemple fréquent est le semis de blé sous couvert de luzerne.

Les cultures multiples d'un point de vue spatio-temporel (Source : ReSoil)
Les cultures multiples d'un point de vue spatio-temporel (Source : ReSoil)

B. Focus sur les associations de cultures : variétés, espèces et exemples

Associations de plusieurs variétés

Sur la même parcelle, il est possible de cultiver une association de plusieurs variétés d’une même espèce. Dans ce cas, les dates de semis et de récolte sont communes aux différentes plantes. Cette association permet de jouer sur la complémentarité des résistances et avantages de chacune des variétés. Ainsi les contaminations entre plantes peuvent être évitées ; on parle d’effet barrière. Par exemple, on peut cultiver en même temps plusieurs variétés de blé.

Associations multi-espèces, à simple récolte

Ces associations sont constitués d’une culture principale récoltée et la seconde non récoltée car détruite naturellement par le gel. Un exemple, emblématique serait l’association féverole de printemps-colza, où la première espèce est sujette à une destruction gélive (à condition que la légumineuse arrive au stade bouton).

Associations multi-espèces, à double récolte

Ces associations regroupent des cultures semées et récoltées en même temps. Le mélange de grains est soit trié à la moisson si les deux cultures sont vendus séparément, soit valorisé comme tel, par exemple en ensilage ou en production de foin pour les polyculteurs-éleveurs. Voici quelques exemples d’associations récurrentes : blé-féverole, blé-pois, blé-lupin, orge-féverole, colza-pois, avoine-pois, triticale-pois, triticale-lupin, blé de printemps-lentille, lentille-fenugrec.

Exemple Blé de printemps-Lentille :

Opportunité : L’agricultrice.eur cherche à produire de la lentille, car sa coopérative propose un débouché intéressant en AB.

Problématique : Cet.te agricultrice.eur éprouve des difficultés à faire des rendements acceptables en lentille pure, car les rendements sont variables, le salissement est important et difficile à contrôler et les parcelles ressuient mal.

Proposition de solution : L’association lentille-blé est testée. La lentille sera garante de la marge économique puisqu’elle se vend entre 1000 et 1600 euros la tonne triée. L’objectif est donc de maximiser la production de lentille. Dans ce cas, elle est semée à sa densité normale pour rester au même potentiel de production que la culture pure. Le blé sera là pour jouer le rôle de tuteur et pour améliorer la couverture du sol, de manière à mieux concurrencer les adventices. Toutefois, il ne doit pas entrer en compétition avec la lentille. C’est pourquoi il est conseillé de le semer à très faible densité, soit 10 à 15 % de sa densité normale, ce qui suffit amplement pour diminuer la verse sur la lentille.  En bonus, le blé tendre produit sera de bonne qualité car il aura une forte teneur en protéines.

Exemple Blé-Légumineuse (hors lentille) :

Opportunité : L’agricultrice.eur livre un meunier local. Ce dernier souhaite une variété particulière de blé avec une haute teneur en protéines.

Problématique : Cet.te agricultrice.eur souhaite donc augmenter significatiement la teneur en protéines de son blé.

Proposition de solution : Un semis sous couvert et une association blé-légumineuse sont testés.

  • Luzerne ou trèfle pour les polyculteurs-éleveurs : Associer le blé à une légumineuse non récoltée en même temps permet de s’affranchir de la contrainte de tri. Bien que la légumineuse exerce une concurrence sur le blé en terme de rendement, le blé aura une bonne teneur en protéines. Dans ce cas, le blé sera semé en plein dans une luzerne ou un couvert de trèfle, déprimé au préalable par une fauche. Cette option est intéressante pour l’éleveur qui pourra profiter de la luzerne ou du trèfle après la récolte du blé.
  • Féverole, pois ou pois chiche pour les polyculteurs : L’agricultrice.eur qui n’a pas d’animaux ni de débouchés pour la luzerne, serait plus intéressé d’associer le blé avec une légumineuse qu’il peut récolter et vendre à la coopérative. Le blé sera semé au moins à 60 % de sa densité normale, en y rajoutant un pois semé à 50 % de sa densité normale. Le tout sera récolté et trié, pour fournir le blé au meunier et le pois à la coopérative. Avec la féverole, il est préférable de semer le blé au moins à 70 %, et la féverole à 30-40 % de sa densité normale pour être sûr de ne pas trop concurrencer le blé.

II. Pourquoi associer des cultures

Les deux principales interdictions en système AB en grandes cultures sont l’utilisation de produits phytosanitaires et de fertilisants minéraux de synthèse. Les associations de cultures permettent de pallier partiellement cela, car elles :

  • Luttent contre l’enherbement : Des études conduites notamment par l’INRAE et Arvalis montrent que les associations présentent un enherbement réduit par rapport aux cultures « pures » de légumineuse mais comparable à celui des céréales « pures ». Cela est valable par exemple pour les asssciations blé dur-pois d’hiver et blé-féverole.
  • Enrichissent en azote : Les légumineuses sont des végétaux qui peuvent réaliser des mycorhizes, à savoir une symbiose entre leurs racines et la bactérie du sol Rhizobium. Ainsi de l’azote atmosphérique peut être fixé par la plante et être ensuite restitué au sol. L’association peut ainsi bénéficier à un blé cultivé avec une légumineuse en améliorant sa teneur en protéine. En effet, d’après Arvalis l’association de cultures pourrait bénéficier d’une teneur en protéine supérieur (de l’ordre de 1% en plus) par rapport au taux de la céréale en pure. Cela permet une meilleure valorisation pour l’agricultrice.eur. En effet, le passage à la classe A de taux protéique pour le blé (taux de protéines supérieur à 13 %) permet de prétendre à revenu plus élevé de 5 €/t.

Un autre frein au passage au système AB est la chute des rendements. En 2022, les rendements des grandes cultures issus de l’agriculture biologique sont inférieurs à ceux obtenus en agriculture conventionnelle. L’écart atteint par exemple 57 % pour le blé tendre contre 28 % pour le tournesol, selon l’Agreste. Pour assurer une meilleure rémunération de la production, l’association de cultures peut apporter de multiples bénéfices, comme des :

  • Rendements plus élevés : Les rendements sont en moyenne plus élevés en association que le rendement de chaque culture en pur (mais pas que la somme des deux cultures pures). Les gains de rendement observés dans les associations céréale-légumineuse sont souvent attribués à la complémentarité des deux espèces dans l’utilisation des ressources azotées. La complémentarité entre les espèces est d’autant plus forte que le milieu est pauvre en N. Ainsi, les associations de cultures ont un rôle tampon sur les résultats de rendements. Sur les très bonnes parcelles, le rendement sera légèrement moins bon en culture associée. Par contre, sur les parcelles à plus faible potentiel, les cultures associées permettent d’augmenter les rendements et offrent donc de meilleurs résultats économiques. Généralement, sur des parcelles à risque ou à faible potentiel, associer les cultures permet d’augmenter la rentabilité économique de la parcelle, grâce à la complémentarité entre les espèces. Cependant, dans tous les cas, associer les cultures revient à diminuer les risques économiques. En cas d’échec d’une culture à la suite d’un événement imprévu, la seconde culture aura davantage de chance de prendre le dessus et de donner une récolte acceptable.

Comparaison de rendement par hectare de différentes associations de culture et de cultures en pures (Source : Arvalis et INRAE)
Comparaison de rendement par hectare de différentes associations de culture et de cultures en pures (Source : Arvalis et INRAE)

  • Légumineuses moins sensibles à la verse : La culture en pur des légumineuses en système AB est complexe pour la maîtrise du salissement, et le développement des maladies et ravageurs. En association, les céréales servent de tuteur aux légumineuses, qui étant moins sensibles à la verse sont moins sensibles aux maladies et sont plus faciles à récolter. Comparé à une céréale pure, le salissement est identique pour une association, mais cette dernière limite le développement des adventices par rapport à une légumineuse pure.
  • Taux de mitadinage moins élevés : Le mitadinage est un accident physiologique fréquent chez les blés durs. Il affecte la texture de l'albumen qui apparaît alors partiellement, voire totalement farineux. La conséquence majeure de ce phénomène est une baisse du rendement semoulier et donc une baisse de rémunération. Ce phénomène est accentué par une mauvaise alimentation azotée et une reprise en eau du grain causée par des pluies entre la maturité et la récolte. L’industrie demande un taux de mitadin inférieur à 20%.

Ainsi les associations peuvent présenter de meilleurs marges directes que les cultures « pures » (dans les situations non fertilisées) et ce malgré le coût du tri du mélange. Cela s’explique par une production moyenne de grains supérieure aux cultures en pures et par l’augmentation significative de la qualité du blé dur (meilleur teneur en protéine et taux de mitadin).

Les intérêts des associations de culture en agriculture biologique (Source : ReSoil)
Les intérêts des associations de culture en agriculture biologique (Source : ReSoil)

III. Les freins à l’implantation d’associations de culture en AB

Bien qu’il existe de nombreux avantages à associer des cultures en agriculture biologique, il existe certains freins à leur instauration.

  • Date de semis/récolte identique : Les espèces doivent avoir des dates de semis et de récolte identiques au sein de l’association. Il est souvent plus simple de trouver des variétés avec des dates similaires que des espèces.
  • Triage complexe : Pour valoriser financièrement deux espèces auprès d’une coopérative, à destination de l’alimentation humaine, une opération de triage est réalisée. Un triage à façon en AB est d’environ 15€/t et un triage optique, plus précis, serait de 25€/t (et nécessite 50 000€ d'investissement). Pour éviter cette surcharge financière, le mélange peut être valorisé à destination de l’alimentation animale. Pour les organismes stockeurs, chaque association est logée dans des cellules différentes (ex : blé/féverole de meunerie ou fourrager). Cela nécessite de grosses infrastructures et donc à la marchandise de faire de plus longue distance, car il y a moins de silos en système bio qu’en conventionnel. Le maillage logistique devient alors plus complexe.
  • Exigence de l’aval :  L’exigence au moment du tri représente un vrai frein pour les industries agroalimentaires qui exige une très bonne qualité de tri, car le soja ou le blé (gluten) sont par exemple de forts allergènes. L’aspect du produit final a aussi son importance : la féverole associée au blé blanchit la couleur de la farine, alors que le standard de couleur tend vers le jaune. Enfin, le goût peut être impacté par l’association, pour exemple le mélilot donne un léger goût de cannelle au blé.
  • Taille des semences et profondeur de semis : Au sein du mélange, les tailles de semences et leur profondeur de semis optimum peuvent être différentes. Pour exemple, les profondeurs idéales de la féverole, du lupin et du triticale sont respectivement 6 cm, 4 cm et 2 cm. En pratique, les mélanges sont alors souvent semés en même temps en choisissant une profondeur de sol intermédiaire entre les deux espèces.

Conclusion

Pour pallier les contraintes du système AB d’absence de fertilisation minérale de synthèse et de produit phytosanitaire, ainsi que des rendements plus faibles, les associations de cultures représentent de vraies opportunités agronomiques et financières. En effet, elles limitent les risques en luttant contre l’enherbement et limitant la verse des légumineuses. Elles favorisent également une meilleure valorisation économique en apportant azote, augmentant les rendements et diminuant le taux de mitadinage.

Le risque n’est cependant pas nul et l’instauration d’une association demande de la technique. C’est pourquoi il est préférable que les agricultrices.eurs soient accompagnés techniquement, grâce aux technico-commerciaux ou conseillers par exemple. ReSoil accompagne également les agricultrices.eurs dans leur transition agricole d’un point de vue agronomique et financier via le Label bas-carbone. En effet, ce dernier valorise les changements de pratiques agricoles qui stockent davantage de carbone dans les sols et émettent moins de gaz à effet de serre. Les associations de cultures permettent notamment de stocker plus de carbone et le système AB réduit fortement les émissions de gaz à effet de serre de la ferme. D’après l’expérience de Resoil, ces deux pratiques peuvent être valorisées par une rémunération entre 55 et 95€/ha/an (pendant 5 ans).

Vous êtes agricultrice.eur et vous désirez en apprendre davantage sur l’accompagnement de ReSoil et la rémunération carbone, rendez-vous ici ou contactez-nous.