Comment réduire l’empreinte carbone d’une ferme en polyculture-élevage d’après la méthode Carbon’Agri du Label bas-carbone ?

9 août 2024

par
Lise
Bovin en rumination

Introduction

L’agriculture était le 2e poste d’émissions françaises en 2019 avec 19 % des émissions de gaz à effet de serre. 45% de ces émissions étaient liées au CH4, 42% au N20 et 13% au CO2, d’après CITEPA. L’élevage (via la fermentation entérique et la gestion des déjections) est la source de 68 % des émissions nationales de méthane (CH4) et la culture des sols (via la fertilisation minérale et organique) est responsable de 80 % des émissions nationales de protoxyde d’azote (N2O). Ainsi il est pertinent de concentrer ses efforts de changements de pratiques sur l’élevage et les grandes cultures.

Pour respecter les accords de Paris et son objectif net-zero d’ici 2050, le Ministère de la transition écologique a commandité le Label bas-carbone permettant d’accompagner financièrement les agricultrices et agriculteurs dans leur transition agricole. Les pratiques valorisées par ce Label sont celles qui réduisent les émissions de gaz à effet de serre (GES) et stockent du carbone dans les sols pour ainsi réduire le bilan carbone de la ferme. Dans le secteur agricole, il existe différentes méthodes de calcul comme celles liées aux grandes cultures, à l’élevage, aux haies ou vergers.

La méthode Carbon’Agri du Label bas-carbone, concernant les éleveurs ou polyculteurs-éleveurs, a été notamment pensée par l’institut de l’élevage (Idele), en partenariat avec le centre national interprofessionnel de l’économie laitière (Cniel), l’interprofession bétail et viande (interbev), la confédération nationale de l’élevage (CNE) et the institute for climate economics (I4CE). La première version de la méthode est sortie en septembre 2019. Cette méthode cible les réductions d’émissions des élevages bovins (laitiers et allaitants) et des grandes cultures.

I. Principe et calcul de la méthode Carbon’Agri

A. Méthode de calcul

La méthode Carbon’Agri calcule des réductions d’émissions (RE) correspondant à des tonnes de CO2 équivalent stockées dans le sol, évitées ou réduites, à savoir des crédits carbones certifiés par le Label bas-carbone. Les RE sont prises en compte à l’échelle de toute l’exploitation, c’est-à-dire à l’échelle de chaque atelier : bovin lait, bovin viande et grandes cultures. Le principe général du calcul est le suivant :

Calcul du gain carbone d'une exploitation agricole selon la méthode Carbon'Agri du Label bas-carbone
Calcul du gain carbone d'une exploitation agricole selon la méthode Carbon'Agri du Label bas-carbone

Les gains d’émissions se calculent à partir d’intensité carbone par atelier hors séquestration, correspondant aux émissions générées par l’atelier d’intérêt rapportées aux productions de cet atelier. Ainsi les émissions calculées sont relatives aux productions générées et ne sont pas absolue ! Le calcul généralisé est le suivant :

Calcul de l'intensité carbone d'une exploitation agricole selon la méthode Carbon'Agri du Label bas-carbone
Calcul de l'intensité carbone d'une exploitation agricole selon la méthode Carbon'Agri du Label bas-carbone

B. Intensité carbone calculée

Puisque la méthode Carbon’Agri permet de calculer une intensité carbone et donc des émissions relatives, la méthode valorise des émissions dites “évitées” et non “réduites”. Par exemple, si le cheptel d’une ferme s’agrandit de 10% (et donc émet 10% de plus, à intensité carbone stable) mais que son intensité carbone baisse de 5%, alors il y aura un gain carbone pour l’exploitation même si d’un point de vue flux physiques la ferme émet davantage de GES (soit 1,1 * 0,95 = 1,045 donc 4,5% de GES en plus). Ainsi dans cette méthode l’évolution de la taille du cheptel n’influence pas le gain carbone. Pour rappel, l'élevage représente 59,5 % du total des émissions agricoles françaises en 2021 mais ont baissées de 14,6 % entre 1990 et 2021.

L’Idele a développé un logiciel permettant de calculer le gain carbone de l’exploitation : l’outil Cap’2er. Ainsi le résultat est fourni sous forme d’intensité produit brute en kg équivalent CO2/unité de produit (donc pour l’atelier vache laitière en kg eq CO2/kg de lait et pour l’atelier bovin allaitant en kg eq CO2/kg PBVV (Production Brute de Viande Vive)).

Ainsi, puisque le résultat est donné sous forme d’intensité produit brute par la méthode Carbon’Agri, il existe plusieurs stratégies complémentaires pour générer des crédits carbone, pour exemples :

  • maintenir la même production ET émettre moins ⇒ réduction des émissions nettes
  • maintenir la même production ET stocker davantage ⇒ augmentation du stockage net
  • augmenter la production par animaux ET émettre/stocker de manière identique pour diminuer le ratio kg équivalent CO2/unité de produit ⇒ réduction des émissions relatives à la production

Remarque : La méthode Grandes Cultures du Label bas-carbone ne calcule pas une intensité produit brut. Ainsi, dans celle-ci seules les deux premières stratégies sont valorisables.

II. Exemples de leviers actionnables par la méthode Carbon’Agri

Les leviers proposés par la méthode Carbon’Agri se décomposent en sept catégories :

  • la gestion du troupeau
  • l’alimentation du troupeau
  • la gestion des déjections animales
  • la consommation d’engrais
  • la consommation d’énergie
  • la gestion des surfaces cultivées
  • la gestion des infrastructures agro-écologiques

Listes des principaux leviers de réduction des émissions et d'augmentation de la séquestration (Idele, 2019)
Listes des principaux leviers de réduction des émissions et d'augmentation de la séquestration (Idele, 2019)
Listes des principaux leviers de réduction des émissions et d'augmentation de la séquestration (Idele, 2019)

A. Augmenter son gain carbone en réduisant ses émissions ou en stockant du carbone : leviers extensifs

Certains changements de pratiques agricoles réduisant les émissions de GES et augmentant le stockage de carbone (pour une même production) peuvent s’intégrer à un système extensif. Cette agriculture, par opposition à l'agriculture intensive, est un système de production agricole qui consomme moins de facteurs de production (intrants, moyens humain, etc.) par unité de surface. Voici le développement de quelques exemples :

Exemples de leviers extensifs réduisant les émissions
  • La consommation d’engrais minéraux : Réduire ses émissions par la diminution des engrais minéraux de synthèse tout en maintenant sa production. Pour cela, plusieurs leviers sont actionnables comme l’implantation de légumineuses dans la rotation pour relarguer de l’azote à la culture suivante. En effet, une luzerne restitue sur plusieurs années de l’azote après destruction. Ainsi l’utilisation du facteur de production “engrais azotés de synthèse” peut être diminué (avec les émissions de GES) et atteindre un même objectif de production.
  • L’alimentation du troupeau - pâture : Un autre levier relatif au système extensif serait l’allongement de la durée des animaux au pâturage. D’après l’Idele, pour des bovins viande, une augmentation de 4% du temps de pâturage (soit 70% temps de présence à l’herbe) diminuerait de 5% des émissions de la ferme. Pour les bovins lait, une augmentation de 10% du temps de pâturage (50% temps de présence à l’herbe) diminuerait de 7% les émissions. Cela s’explique parce que la surface en herbe produite nécessiterait moins d’engrais, de machinisme agricole, de traitements phytosanitaires que la ration (fourrages, concentrés, farines) donnée à l’auge en stabulation. Néanmoins ce levier n’est pas actionnable sous certaines conditions pédo-climatiques : si les sols sont gorgés d’eau ou si la sécheresse pénalise fortement la productivité. Enfin allonger la durée de pâturage n’est possible que si la superficie de l’exploitation le permet. En effet, un fort chargement à l’hectare favoriserait le surpâturage et de fait un risque de baisse de production des pâtures.
  • L’alimentation du troupeau - tanins (pas encore pris en compte dans cette version du Cap’2er) : L’introduction d’espèces riches en tanin concentré dans la prairie peut être un levier pour diminuer les émissions de GES de l’atelier. En effet, les tanins condensés limitent à la fois la dégradation des protéines alimentaires et la méthanogenèse ruminale. A titre d’exemple, le lotier a diminué de 50% la méthanogenèse chez des agneaux en croissance. Ceci s’expliquerait par un effet direct des tanins sur l’activité des archae méthanogènes et par un effet indirect en diminuant la digestion des parois végétales (TAVENDALE et al., 2005).
Teneur en tanins concentré de plusieurs espèces (Web-agri, 2022)
  • La consommation d’énergie : L’utilisation de matériel moins consommateur en énergie peut être un autre levier d’action pour réduire ses émissions en maintenant sa production. Par exemple, l’achat d’un pré-refroidisseur de lait permettrait de réduire la consommation du tank de 40 à 50 %. L’installation d’un récupérateur de chaleur permettrait de diminuer de 70 à 80 % des consommations du chauffe-eau, d’après l’Idele.
  • La gestion des déjections animales : L’installation d’un racleur automatique programmable permettrait de diminuer les émissions d’ammoniac (NH3). Cet appareil augmente la fréquence de raclage de l’air d’exercice. Un raclage toutes les 3 heures permettrait de diminuer de 20% les émissions d'ammoniac, selon l’Idele.
  • L’alimentation du troupeau - tourteaux : Les tourteaux de soja sont des concentrés qui apportent des protéines essentielles à l’alimentation des bovins. A ce jour, ces concentrés importés et utilisés en France sont majoritairement issus du Brésil. Or ces tourteaux brésiliens sont à 52% issus de zones déforestées selon le projet Ademe-ECOALIM. La déforestation illégale au Brésil représente 20% des importations européennes d’après la revue américaine Cyclope 2020 (Source : LBC méthode Grandes cultures). Ainsi pour pallier la déforestation et diminuer son empreinte carbone issue de cette importation, intégrer du soja à sa rotation serait un levier. Néanmoins la tendance est actuellement inverse sur le territoire. En effet, les emblavements de soja sont estimés à 149 000 hectares en 2024. Ils ont diminués de 5,5 % entre 2023 et 2024 et de 11,8 % par rapport à la moyenne de 2019 à 2023.

Exemples de leviers extensifs augmentant le stockage de carbone dans les sols
  • La gestion des surfaces cultivées : Augmenter le stockage de carbone dans les sols est possible en implantant par exemple des prairies (temporaires ou permanentes) ou en allongeant la durée des prairies temporaires au sein de la rotation, tout en maintenant un même niveau de production de viande et de lait. En effet, une prairie stocke 1,6 fois plus de carbone dans les sols que les cultures (environ 80 tC/ha contre 50 tC/ha).

Quantité stockée de carbone par hectare (Source : ADEME – GIS SOL, 2013)
Quantité stockée de carbone par hectare (Source : ADEME – GIS SOL, 2013)
  • La gestion des infrastructures agro-écologiques : Insérer des haies ou s’inscrire dans une démarche d’agro-foresterie permet d’augmenter le stockage de carbone sur la ferme. Pour exemple, l’implantation de 100 m de linéaires de haie permet de stocker 125 kg de C dans les sols par an. Le stockage de carbone est équivalent à celui d’un hectare d’interculture (CIPAN ou dérobé). Néanmoins ce levier est 4 fois moins stockeur que l’insertion de prairies permanentes.
Pratiques associées au stockage carbone et références associées (Cap’2er, 2022)
Pratiques associées au stockage carbone et références associées (Cap’2er, 2022)

B. Augmenter son gain carbone en augmentant sa productivité : leviers intensifs

Certains changements de pratiques agricoles permettent d’augmenter la productivité des exploitations. Cette agriculture, qualifiée d’intensive, vise à augmenter le rapport entre le volume produit et le facteur de production (moyens humains, matériels, intrants).

  • La gestion du troupeau : Réduire la période improductive est alors un sujet clef en réduisant le taux de renouvellement (taux de génisses élevé par rapport au troupeau) et en augmentant la longévité des vaches laitières. L’âge du premier vêlage peut aussi être diminué pour passer de 30 à 24 mois. D’après le Cniel, ce dernier levier pourrait diminuer de 7% les émissions de méthane (CH4) liées à la rumination. Ainsi les animaux produisent plus tôt et plus longtemps.
  • L’alimentation du troupeau : L’optimisation de concentrés dans la ration peut impacter la production de méthane. Pour rappel, la réaction de méthanisation est : CO2 + 4H2 ⇒ CH4 + 2H20. Ainsi l’hydrogène est utilisé en continue dans le rumen par les bactéries archae méthanogènes pour réduire une partie du CO2 en méthane. L’amidon présent dans les concentrés, après plusieurs réactions successives, sera transformé en propionate. Ce dernier concurrence la production de méthane en détournant le H2 disponible. Les concentrés limitent donc les émissions de CH4, contrairement aux fourrages entrainant la fabrication d’acétate dans le rumen qui favorise ensuite la formation de méthane (voir réactions ci-après). Une méta-analyse réalisée sur 101 expérimentations et 290 traitements a permis de montrer que la part d’énergie métabolisable perdue sous forme de méthane diminue significativement lorsque la proportion de concentré (ou de céréales) représente plus de 40% de la ration (Sauvant et Giger-Reverdin 2007).
métabolisme de l’hydrogène dans les différentes voies fermentaires du rumen (Cairn, 2009)
Métabolisme de l’hydrogène dans les différentes voies fermentaires du rumen (Cairn, 2009)

Ainsi pour augmenter le gain carbone à l’échelle de l’exploitation, l’agriculteur peut actionner une grande diversité de leviers (extensifs comme intensifs) en travaillant sur la santé de son troupeau, sur l’autonomie de sa ferme et sur la modération en intrants.

Conclusion

En générant des tonnes de CO2 équivalent stockées dans le sol, évitées ou réduites, quantifiées par la méthode Carbon’Agri, les agriculteurs peuvent être rémunérés pour leurs changements de pratiques. Ces derniers peuvent diminuer les émissions de GES, stocker plus de carbone dans les sols ou augmenter leur productivité relative. ReSoil accompagne les agriculteurs en réalisant le diagnostic carbone de leur exploitation (par la méthode Carbon’Agri ou la méthode Grandes cultures), labellise leur projet auprès du Label bas-carbone et s’occupe de leur trouver une entreprise financeuse.

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