19 septembre 2023
Le terme de jachère fait appel à notre mémoire et nous évoque des souvenirs familiers. De nos cours d’histoire lorsque nous étions écoliers, elle est assimilée à l’agriculture française du Moyen Âge et son fameux assolement triennale. Pour autant, en quoi consistait concrètement la jachère de cette période ? Comment a-t-elle évolué au fil du temps ? A quoi correspond aujourd’hui la jachère de la politique agricole commune européenne? Quel est son lien avec la préservation de la biodiversité sur les terres agricoles ?
Etymologiquement, le mot jachère provient du latin médiéval gascheria/gascaria traduit en français du XIIème siècle sous le nom "jussiere" ou "gaskiere" dont la variante de l’époque "jachiere" l’a emporté dans le langage commun. Il viendrait du gaulois gansko signifiant «branche» et «charrue». La jachère désignait ainsi une terre labourée non ensemencée. A cette époque, «jachérer» était un verbe signifiant labourer une jachère ou plutôt d’année de jachère de l’assolement. On désignait ainsi la jachère sous une multitude d’appellations : guéret, novale, sombre,gaure, verchère, versère, versaine, varet …
Nous pouvons retrouver ces termes encore aujourd’hui à travers les plaines françaises. A titre d’exemple, « faire du Guéret » signifie aujourd’hui travailler le sol sur une profondeur donnée pour affiner la terre et préparer ainsi le« lit de semence » c'est à dire la couche de terre fine permettant d’accueillir les semences pour favoriser ainsi la germination grâce à un bon contact "sol-graine".
En d’autres termes, la jachère était une période de travaux du sols successifs : « Jachère se dit d’une terre qu’on laisse une année sans la semer pour la disposer à produire du froment par des labours qu’on lui donne pendant ce temps » (Duhamel du Monceau, 1758). Cette période faisait également l’objet d’apport de fumier et de pâturage pour éliminer les repousses de « mauvaises herbes » (aujourd’hui nous employons davantage le terme d’adventice) et fertiliser le sol.
Dans nos cours d’agriculture en école primaire, la jachère est souvent présentée comme un période de « repos de la terre » pour « récupérer des forces », autrement dit retrouver de la fertilité. Nos instituteurs nous indiquaient ainsi que le sol « ne travaillait pas » car la terre ne produisait pas de grain. Ces expressions ont rajouté de l’ambiguïté sur notre représentation de la jachère de l’époque : le sol ne « travaillait pas » mais était bien travaillé. « C’est donc avec raison qu’on disait en France, en 1757, que la jachère n’est pas, à proprement parler, le repos de la terre, mais bien sa préparation » (Heuzé, 1862 : 268).
La jachère permettait de gagner en fertilité mais uniquement sur le court terme si un apport de fumier conséquent n’était pas réalisé. En effet, le travail du sol favorise la minéralisation de la matière organique et rend de fait disponible les éléments nutritifs pour la culture suivante mais épuise sur le long terme ces réserves. L’apport de fumier était ainsi nécessaire pour reconstituer les « stocks » de matière organique contenant les éléments nutritifs.
Les cycles de culture s’étant accéléré au fil du temps, les périodes non cultivées se sont raccourcies. D’un point de vue agronomique, la jachère au sens premier du terme correspondrait davantage aujourd’hui à la période entre deux cultures de rentes, l’une d’hiver et l’autre d’été, appelée interculture longue (de juillet/août à mars/avril). Cette période donne lieu depuis plus de 150 ans au labour et autre travail du sol préparant le semis de la culture suivante. Avec les nouvelles pratiques de conservation des sols, tout ou partie du travail du sol est remplacé par des couverts végétaux semés à l’occasion pour assurer la fertilité à court et long terme.
Pendant les périodes gauloise, gallo-romaine puis l’antiquité, le système agricole consistait en un assolement biennal soit une succession de jachère et céréale d’hiver. Il s’agissait principalement de l’épeautre en Europe du Sud et de l’Ouest et du seigle dans l’Europe du Nord et de l’Est.
Autrement dit, les exploitations pratiquaient la monoculture de céréale d’hiver avec une période de travail du sol et d’apport de fumier d’une année. La pâture des jachères avait un objectif de désherbage et d’apport direct d’effluents d’élevage.
A partir du Moyen Âge, l’assolement triennal a commencé à voir le jour avec l’insertion d’une troisième culture qui, dans la plupart des cas, était l’avoine pour l’alimentation animale. Progressivement, les chevaux de traies ont remplacé les bœufs pour la traction animale car ils étaient plus productifs. Ce changement de système a duré plusieurs siècles au cours du Moyen Âge. L’assolement triennal est le système qui a perduré jusqu’à la révolution industrielle.
Les premiers changements ayant conduit à la perte du sens premier de la jachère se sont opérés dès le XVIème siècle où le terme de repos de la terre est apparu, confondant ainsi la jachère et la friche (historiquement il s’agit de chaumes après la moisson qui se sont enherbées). L’assimilation de la jachère à de la terre improductive commençait alors à s’opérer. Cet amalgame a été renforcé par les propriétaires terriens de l’époque pour qui une jachère représentait une perte sèche étant donné que seules ces surfaces n’étaient pas cultivées.
L’assolement triennale s’est d’abord arrêté pour laisser place à l’assolement quadriennale avec l’introduction de la culture du trèfle et du sainfoin. C’est la révolution fourragère fin XVIIIe début du XIXe où les cheptels augmentent et la disponibilité en fumier également.
A partir de la Révolution française, la volonté de faire disparaitre les jachères s’est considérablement accélérée d’autant que de nouvelles cultures ont fait progressivement leur apparition dans les exploitations agricoles (cf. illustration du milieu du XIXème siècle ci-dessous).
Par la suite, les périodes de jachères ont ainsi été progressivement cultivées pour les nommer récoltes-jachères. Les pois, les fèves, les vesces (des légumineuse) ont d’abord été les seules plantes remplaçant la jachère.
La mise en place de cultures sur cette période a conduit mécaniquement à une diminution de production de grains que seul un apport d’engrais (organique) et une hausse des surfaces cultivées pouvaient combler. La quantité d’engrais de fond (potassium et phosphore) venait ainsi à manquer au cours du XIXème siècle.
La notion de jachère est ainsi passé au fil du temps de période de préparation des semis à celle de surface improductive. La diversification des rotations avec les plantes sarclées (betteraves et maïs) et prairies artificielles, le semis en ligne et l’invention de nouveaux outils de désherbage mécanique ont permis de mieux limiter les mauvaises herbes tout en produisant chaque année.
La notion de surface improductive est restée dans les mémoires. A la fin des années 80, la révolution agricole et la hausse spectaculaire des rendements (de 1,5-2t/ha à 6-6,5t/ha dans les années 80) a conduit à une surproduction européenne. A l’époque, ce « gel des terres » repose sur du volontariat. Le plan prévoit que la France gèle « 6 millions d’hectares » sur 10 ans. La Politique Agricole Commune (PAC) s’intensifie en ce sens en 1992 avec l’obligation pour les agriculteurs de geler environ 15% de leur surface. Celles-ci sont désormais appelées jachère et reçoivent des primes en compensation. Au sens de la PAC, la jachère est ensemencée, non pâturée, non travaillée mais entretenue. Le mot friche assimilé à la jachère refait alors surface.
A la suite de cette PAC de 1992, la moitié des agriculteurs opte pour une jachère « rotationnelle », autrement dit qui s’insère dans la rotation (appelé aujourd’hui succession culturale), et l’autre moitié pour une jachère non rotationnelle (sur la même parcelle d’une année sur l’autre). Cette jachère fixe était sélectionnée par la moitié des exploitations malgré une part de la surface à allouer à la jachère plus importante dans ce cas de figure. En 1996, un taux unique est adopté à 10% et la jachère non rotationnelle devient prééminente. Ces surfaces sont bien évidemment allouées aux parcelles les moins productives.
La « jachère obligatoire » au sens contemporain a été abrogée lors de la PAC de 2008 mais a été réorienté dans un objectif agro-écologique. La PAC 2008 a introduit le "paiement vert" , qui faisait partie des paiements directs aux agriculteurs. Le paiement vert visait à inciter les agriculteurs à adopter des pratiques agricoles plus respectueuses de l'environnement. Les agriculteurs étaient tenus de respecter certaines pratiques environnementales, telles que la diversification des cultures, la préservation des prairies permanentes et la gestion des surfaces d'intéêt écologique comprenant des éléments tels que les haies, les arbres, les bandes herbacées et les surfaces non cultivées comme les jachères.
Aujourd’hui, le terme de jachère perd de plus en plus de place dans les termes employés par la nouvelle PAC 2023-2027. Elle est incluse dans les IAE (Infrastructures Agro-Ecologiques). A titre d’exemple, 1 hectare de jachère a une valeur de 1 hectare d’IAE. Une surface équivalente IAE est obligatoire pour prétendre aux aides PAC pour chaque exploitation. Le maintien d’un seuil minimal de 4% d’IAE (Infrastructures Agro-Ecologiques) comprenant les terres en jachères ou les bandes non cultivées sur les terres arables.
La jachère au sens de l’Union Européenne est passée d’un outil obligatoire de limitation de la production à un outil optionnel pour la préservation de la biodiversité. Les jachères restent dans la majorité des cas allouées aux surfaces les moins productives des exploitations agricoles pour atteindre l’objectif de 4% d’IAE.
La jachère au sens de la PAC correspond ainsi à un « gel de terres » dont le sol doit être couvert par une ou des espèces végétales au moins 6 mois dont le broyage est réglementé, l’usage des fertilisants et l’exploitation lucrative interdits. Cette définition s’est ainsi totalement éloignée de son sens originel (de l’âge de fer à la révolution industrielle) étant donné qu’il s’agissait d’une période de travail du sol et d’apport de fumier pendant 1 an environ pour préparer le semis de la céréale d’hiver. Ainsi la jachère d'aujourd'hui, notamment lorsqu'elle contient des espèces dites mellifères (favorables à la production du miel) est assimilée à une réserve de biodiversité.
Quel est le rapport entre la jachère d’hier et d’aujourd’hui ? Aucun agronomiquement. Administrativement peut-être : il s’agit d’une surface ne produisant aucune culture de rente pour une période donnée. Cette notion d’improductivité n’a été introduite que plus de 1500 ans après la conception du principe de la jachère. Toutefois, avant la révolution fourragère, cette période de jachère préparait justement à la productivité l’année suivante.
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