Agriculture et énergie : les matières premières agricoles comme source de biocarburants

4 juillet 2024

par
Yohann

Les années 50 ont constitué un point de bascule dans l’évolution du paysage agricole français. La production nationale de denrées alimentaires n’a cessé d’augmenter au fil des décennies à la faveur de l’usage d’intrants de synthèse et de la mécanisation remplaçant les chevaux de trait. En dehors de l’agriculture, la société française s’est peu à peu détachée de la traction équine à partir du milieu du XIXème siècle au début du XXème siècle au profit du transport ferroviaire puis des autocars et enfin de la voiture. L’usage du cheval pour les déplacements a perduré en particulier dans les zones rurales jusqu’aux années 50.

Le remplacement de la traction animale par les énergies fossiles a permis de supprimer progressivement au cours du XIXème et du XXème siècle la concurrence des surfaces à vocation énergétique sur les surfaces alimentaires. Les surfaces fourragères initialement dédiées partout en France pour l’alimentation des chevaux de traits ont été réorientées vers les élevages de ruminants pour la production de lait et de viande ou tout simplement converties en cultures de rente. C’est ainsi que lors de la seconde moitié du XXème siècle, les surfaces dédiées à la production de « carburant » pour les animaux de traits ont disparu après plus de 5000 ans d’Histoire !

Cependant, la dépendance de la France, et plus largement de l’Union Européenne, aux énergies fossiles a entrainé au début des années 2000 la mise en place de mesures incitatives pour le développement des énergies renouvelables. Les années 2005 et 2006 ont été marquées par des dispositifs favorisant l’émergence des biocarburants et des énergies renouvelables dont la méthanisation.

Dans ce contexte, une partie de l’usage des terres agricoles est progressivement revenue à sa vocation énergétique.

Les différents biocarburants issus des productions agricoles

Les biocarburants sont des carburants obtenus à partir de la biomasse (matière première d’origine végétale, animale ou issue de déchets). Ils sont généralement incorporés dans les carburants d’origine fossile. A ce jour, il existe deux principales filières : bioessence et biodiesel où l’éthanol et les EMAG (esters Méthyliques d’acides gras) d’origine agricole respectivement sont les principaux pourvoyeurs de ces deux types de biocarburant.

Parmi ces biocarburants, l’administration différencie les biocarburants

  • de première génération : issu de cultures agricoles spécifiquement cultivées pour leur contenu énergétique en sucre, en amidon ou en huile.
  • de deuxième génération : fabriqués à partir de matières premières non alimentaires. Ces matières incluent divers types de biomasse lignocellulosique comme les résidus agricoles (pailles, tiges), les résidus forestiers, certaines cultures énergétiques non alimentaires (comme le miscanthus ou le switchgrass), ainsi que les déchets municipaux et industriels non recyclables.
  • de troisième génération : produits à partir de micro-organismes et notamment des micro-algues.

A ce jour, la première génération a atteint le stade industriel et la seconde génération est en phase de développement. L’incorporation de biocarburants conventionnels (1ère génération) est aujourd’hui plafonnée à 7% de l’énergie contenue dans les carburants afin de limiter la concurrence avec les productions alimentaires.

L’éthanol est produit à partir de sucres

Les sucres servant à la production d’éthanol peuvent provenir des plantes sucrières (betterave, cannes à sucre) ou de plantes contenant de l’amidon (cas des céréales majoritairement). En effet, l’amidon est une chaine de glucose et fructose, eux-mêmes étant des sucres libres. Il est également possible de produire de l’éthanol à partir de marc de raisin (co-produit obtenu après pressage du raisin lors du processus de vinification). La transformation des sucres en éthanol s’opère par fermentation.

Schéma de la production d'éthanol à partir de la matière première

En 2019, 83% des matières premières servant à produire de l’éthanol étaient d’origine française et représentaient environ 3% de la surface agricole française en grandes cultures. La « productivité énergétique » à l’hectare n’est néanmoins pas identique entre les céréales et la betterave. A titre d’exemple, 1 hectare de blé permet de produire en moyenne 30hl d’éthanol tandis que pour la même surface la betterave en produit 80hl. Il faut également mentionner que les co-produits issus de la production d’alcool ont des caractéristiques chimiques différentes selon la nature de la matière première et n’ont de fait pas les mêmes voies de valorisation.

Les EMAG sont produits à partir huiles végétales et de graisses animales

Les EMAG sont très majoritaires dans la production totale de biocarburant en France avec plus de 80% de la production nationale. De plus, ils sont produits en très grande majorité (plus de 90%) à partir d’huiles végétales de plantes oléagineuses (colza et tournesol). Les huiles végétales sont transformées par « Transestérification » pour produire de l’EMAG, c’est-à-dire qu’elles réagissent avec du méthanol pour obtenir du biodiesel.

Schéma de la production de diester à partir de la matière première

Le colza est la matière première la plus utilisée en France pour ce processus représentant 64% de la matière première en 2019. Le soja américain représentait 23%, le palme 9% et le tournesol européen 4%.

En matière de co-produit, la trituration de colza (processus de broyage pour extraction de l’huile) produit des tourteaux riches en protéines végétales. Dans les aliments pour animaux d’élevage, le tourteau de colza permet de réduire la part des tourteaux de soja issus des importations. Du côté de la transformation en biodiesel, le processus abouti également à un co-produit : la glycérine. Cette molécule est notamment employée en pharmaceutique et cosmétique.

Graphique de l'évolution de la production de bioessence et biodiesel

Pratiques actuelles et objectifs d’incorporation

Pout être considérés comme biocarburant, l’éthanol et les EMAG doivent prouver qu’ils émettent au moins 50% de Gaz à Effet de Serre en moins que leur équivalent fossile selon une analyse de cycle de vie. De plus, les matières premières les plus susceptibles de présenter un risque de Changement d’Affectation des Terres Indirect (déplacement des productions alimentaires vers des terres déforestées) sont priées de ne plus être utilisées à horizon 2030.

En face de ces réglementations, l’administration fixe des objectifs d’utilisation de biocarburants toujours plus élevés. En 2005, la loi de finances pour 2005 a introduit une taxe (TGAP, renommée désormais Taxe Incitative Relative à l’Incorporation de Biocarburants dans la loi de finances 2019) sur la mise à la consommation d’essence et de gazole. Elle encourage l’incorporation et la distribution de biocarburants en pénalisant les opérateurs qui mettent à la consommation une proportion de biocarburants inférieure à l'objectif d'incorporation dans chacune des filières. Ce taux objectif d’incorporation a évolué au fil du temps passant de 5,75% en 2008 à 8% pour le diesel et 8,2% pour l’essence respectivement en 2024. Ce niveau est à atteindre en tenant compte du seuil plafond de 7% d’incorporation des biocarburants issu de plantes cultivées en tant que cultures principales sur l’exploitation, autrement dit les céréales, les oléagineux et la betterave. Ce seuil est fixé par la directive EnR2 de 2018 qui établit également un objectif de 14% d’énergie renouvelable dans les transports en 2030. Autrement dit, les filières vont devoir développer la transformation de matières premières hors plantes cultivées.

Au-delà des huiles usagées et des graisses animales considérées comme des déchets, les filières biocarburants vont devoir trouver d’autres sources de matières premières et se tourner en particulier vers les biocarburants de seconde génération. Néanmoins, ces derniers n’ont toujours pas dépassé leur phase de développement pour passer en format industriel. L’étaux se resserre d’autant plus que la production de biocarburant est croissante et le marché des matières grasses usagées se tend avec la concurrence accrue de la méthanisation qui consomme également cette matière première.

Le taux d’incorporation, issu de biocarburant de première génération, maximum de 7% n’est pas la norme. D’autres taux d’incorporation ont été homologués. Le Bioéthanol commercialisé en France est incorporé à des niveaux variant de 5% (SP95-E5 ou SP98-E5) jusqu’à 85% (Superéthanol E85) ou même 95% (ED95). Du coté du biodiesel, il est commercialisé à des niveaux allant de 7 à 10% (B7 et B10) et de 30 à 100% (B30 et B100). Les carburants à haut niveau d’incorporation en biocarburant sont en nette croissance en France comme le montre le graphique ci-dessous sur l’évolution de la consommation des véhicules essence.

Graphique présentant l'évolution des différentes consommations de carburants de moteurs à essence en France

Le cas particulier de la méthanisation

La production de gaz d’origine renouvelable est également soutenue par les politiques publiques. La loi de 2015 sur la « Transition énergétique » établit un objectif de 10% du gaz consommé en France d’origine renouvelable à horizon 2030. Ce seuil a été renforcé par la loi de 2019 « Energie-Climat » où cette part a été portée à « au moins » 10%. Dans ce contexte, la production d’énergie par le biogaz, également biocarburant de première génération, est passée de 1TWh en 2007 à 7TWh en 2019 puis 11,8TWh en 2023 soit la consommation annuelle de 955 000 logements neufs (source : GRDF). Il faut néanmoins noter qu’une part majoritaire de ce biogaz est convertie sur site en électricité et/ou sous forme de chaleur. Dans le cas de l’électricité, le rendement énergétique n’est que de 40%. Le reste est perdu (électricité seule) ou valorisé (Cogénération) sous forme de chaleur. L’injection de Biogaz dans le réseau ne représentait que 30% environ de la production énergétique du total mais cette part est en constante croissance.

Graphique présentant l'évolution de la production d'énergie à partir de Biogaz

Mais au fait, en quoi consiste la méthanisation ?

La méthanisation est la dégradation de molécules carbonées en absence d’oxygène pour produire du méthane (CH4). En présence d’oxygène, la dégradation des chaines carbonées produit du dioxyde de carbone (CO2). Ce processus a lieu naturellement dans les marais, au fond des lacs, dans les rizières, dans l’intestin des vaches et même dans celui des humains !

La méthanisation peut s’opérer sur une grande diversité de molécules carbonées et en particulier les mêmes matières premières que le bioéthanol (céréales et plantes sucrières) et le biodiesel (huiles végétales et animales) mais aussi les parois cellulaires des plantes (cellulose et hémicellulose) et les protéines ainsi qu’une multitude de déchets organiques dont les effluents d’élevage. La méthanisation peut ainsi transformer en énergie toutes les parties des végétaux mais pas en totalité. En effet, plusieurs composants ne sont pas dégradés et seront restitués au sol pour augmenter le stock de carbone de ce dernier. Cela concerne entre autres la lignine, composante importante des cultures mûres donnant de la rigidité aux plantes. Au cours de ce processus de dégradation, les éléments sont dégradés à des degrés variables. Entre la moitié et les deux tiers des protéines, des lipides, de la cellulose et de l'hémicellulose sont dégradés, la quasi-totalité de l'amidon et la totalité des sucres libres. Tout ce qui ne sera pas dégradé sera restitué au sol pour augmenter le stock de carbone mais contrairement aux 2 principaux biocarburants, la méthanisation ne génère pas de co-produits valorisables en alimentation animale.

Quelles sont les principales matières premières pour la méthanisation ?

Les effluents d’élevage constituaient 40% des matières valorisées en méthanisation, 29% pour les CIVE (Cultures Intermédiaires à Vocation Energétique), 13% de boues et co-produits d'agro-industries ainsi que 11% de déchets (de culture et biodéchets) et 5% de cultures dédiées.

Les CIVE sont associées aux couverts végétaux cultivés sur une exploitation entre deux cultures de rente. Il peut s’agir d’un méteil, correspondant à une céréale à paille (triticale, orge, seigle …) cultivée en mélange ou seule et récoltée « immature » c’est-à-dire lorsque la plante est encore verte et les grains pas encore formés. Ces cultures intermédiaires peuvent également être associées aux maïs ou sorgho semés après une culture d’hiver (orge d’hiver, pois de conserve) et récolté en ensilage avant la culture de rente suivante.

Quels sont les usages du Biogaz ?

Ils peuvent être multiples. Le Biogaz permet les mêmes utilisations que le gaz naturel à savoir :

  • La production d’électricité et/ou de chaleur
  • Le chauffage des maisons via le réseau national
  • Comme carburant pour les véhicules terrestres ou maritimes appelé bioGNV

Le GNV, Gaz Naturel pour véhicule, est essentiellement composé de méthane (CH4). Sa version liquide est le GNL (Gaz Naturel Liquéfié) permettant de réduire le volume de gaz d’un facteur de 600. Le GNL est utilisé pour les transports de marchandise sur moyenne distance et véhicules légers. Le GNC (Gaz Naturel compressé) est davantage adapté aux véhicules lourds et le transport maritime. Ces formes de gaz nécessitent néanmoins des stations spécifiques plutôt rares en France. Qu’il soit d’origine fossile ou renouvelable, les applications du GNL et du GNC sont les mêmes.

Le GNV est déjà utilisé comme un carburant alternatif avec en moyenne 40% des bus et 20% des bennes d’agglomération de plus de 200 000 habitants adaptés à cette forme de carburant. Du coté maritime, 10% de la flotte de navires y aurait déjà recourt avec une possibilité de ravitaillement via 3 ports français : Dunkerque, Nantes Saint Nazaire et Marseille Fos.

Selon GRDF, les émissions de biogaz seraient 5 à 10 fois moins importantes que celles du gaz naturel et comparables aux autres énergies renouvelables telles que le photovoltaïque et l’éolien. (Source : Rapport d’informations du Sénat, 29 septembre 2021).

Toutes ces nouvelles sources énergétiques issues de l’agriculture et en forte croissance ces 15-20 dernières années vont néanmoins poser de plus en plus question d’un point de vue déontologique quant à leur concurrence directe ou indirecte sur la production alimentaire. Il constitue des potentiels énergétiques décarbonés et de nouvelles sources de revenu pour les agriculteurs mais un juste équilibre de leur insertion dans les rotations doit être trouvé.