18 mars 2025
Agroécologie et agriculture régénératrice sont devenus des termes incontournables dans les débats sur l’avenir de l’agriculture en Europe et dans le monde.
Dans un contexte de dérèglement climatique mettant à l’épreuve la résilience des systèmes agricoles et faisant apparaître dans certaines zones le risque d’une perte de souveraineté alimentaire, ces notions sont de plus en plus présentes dans les échanges.
L’analyse Google Trends ci-dessous, montre qu’au niveau mondial les termes anglais « agroecology » et « regenerative agriculture » ont gagné en intérêt au cours des 5 dernières années avec une multiplication par :
Politiques publiques, grandes entreprises agroalimentaires, acteurs de la transition agricole et même certains consommateurs s’en emparent, voyant en elles des solutions concrètes pour conjuguer productivité et respect des écosystèmes.
Si ces concepts semblent parfois interchangeables, ils recouvrent en réalité des philosophies et des pratiques distinctes.
Dans cet article nous détaillerons les fondements, les convergences et les différences entre ces deux notions, afin d’évaluer leur complémentarité et leur impact réel sur le monde agricole.
L’agroécologie trouve son origine dans les systèmes alimentaires des peuples autochtones à travers le monde. Introduite comme discipline scientifique dans la première moitié du 20ᵉ siècle, elle s’est d’abord concentrée sur la gestion des sols et des ravageurs. Ce n’est qu’avec l’essor des mouvements écologistes des années 1960 que l’agroécologie s’est développée au-delà de la communauté scientifique pour devenir un mouvement social et environnemental qui s’oppose aux systèmes agricoles industriels, recourant à l’usage intensif des intrants de synthèse.
S’en sont suivis 3 décennies de collaboration entre scientifiques et agriculteurs dans les années 1980 à 2000, notamment en Amérique Latine, pour améliorer les méthodes agricoles indigènes, dont la gestion appropriée de la fertilité des sols et la conservation de la biodiversité agricole, comme alternatives au paradigme de la révolution verte.
Dans les années 2000, l’agroécologie a élargi son champ d’action pour inclure toute la chaîne alimentaire établissant un lien entre la production, la transformation, la distribution et la consommation (c'est à dire de l’amont à l’aval, ou, pour reprendre l’expression en vogue actuellement « de la fourche à la fourchette »).
Néanmoins l’agroécologie garde son ancrage scientifique comme le montre les mentions de ce terme dans les publications scientifiques approuvées par des pairs.
Toutefois, à l’époque l’agroécologie n’avait pas de définition explicite et un appel a été lancé à de nombreux chercheurs pour apporter une définition claire de ce terme.
En 2018, à la suite d’un processus consultatif de plusieurs années, la Food and Agriculture Organization (FAO) a formalisé un cadre définissant les « 10 éléments de l’agroécologie ». Ce cadre a permis d’établir une vision holistique de l’agroécologie incluant des composantes de justice sociale.
Cette approche est différente de celle du développement durable dans le sens où elle met l’accent sur « la co-création de connaissances, en combinant la science avec les connaissances traditionnelles, pratiques et locales des producteurs. » Ainsi l’expérience empirique / terrain des agriculteurs doit non seulement être prise en compte, mais surtout valorisée et partagée au plus grand nombre.
Ces 10 éléments de l’agroécologie ont l’année suivante été transposé en 13 principes opérationnels destinés à guider la transformation des systèmes alimentaires agroécologiques. Ces principes regroupés en 3 groupes (efficience, résilience, équité sociale) ont été adoptés par les membres de la FAO en décembre 2019.
Dans ces principes on peut remarquer l’agroécologie ne fait pas ressortir la notion de décarbonation. La réduction des intrants notamment les engrais azotés permettra cette décarbonation qui n’est qu’une conséquence de ce principe. Le fait de n’avoir pas défini la décarbonation comme un principe montre que celle-ci ne doit pas être ce qui guide les choix (afin d'éviter le fameux « tunnel carbone »).
Prenons un exemple, pour un élevage laitier, un des nouveaux leviers pour réduire les émissions par litre de lait consiste à donner régulièrement un complément alimentaire aux vaches permettant de limiter les émissions de méthane issues de la rumination des bêtes. Toutefois, cette pratique n’est pas possible lorsque les vaches sont aux prés ce qui peut pousser certains industriels à interdire le pâturage pour les bêtes concernés. Dans cet exemple, l’objectif de décarbonation va à l’encontre des principes de santé animale et biodiversité (qui dit absence de pâturage dit risque de retournement des prairies non utilisées or celles-ci agissent comme des réservoirs de biodiversité en agriculture).
Au-delà du cadre explicité par la FAO, il existe d’autres définitions de l’agroécologie
Dans son 6ème rapport d’évaluation publié en 2022, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) considère l’agroécologie en tant qu’approche fondée sur les écosystèmes et les droits de l’Homme et axée sur l’ensemble du système alimentaire comme une « approche transformatrice de l’adaptation au changement climatique » pour la résilience du système alimentaire.
Au sein de Pour une Agriculture du Vivant, un mouvement associatif initié en France et qui se définit comme le tiers de confiance de la transition agroécologique, l’agroécologie est apparentée à « une démarche de progrès agronomique vers des systèmes agricoles dans lesquels c’est le vivant qui assure au maximum la fertilité du sol, la nutrition des plantes et la protection des cultures”
Maintenant que nous y voyons plus claire sur l'agroécologie, penchons nous sur l'histoire, les fondements et la définition de l'agriculture régénératrice.
L’agriculture régénératrice aussi appelée par anglicisme agriculture régénérative est née aux États-Unis dans le contexte de la révolution biologique et du mouvement écologiste des années 1960, notamment sous l’influence du livre Printemps silencieux de Rachel Carson. Le terme « agriculture biologique régénératrice » a été introduit dans les années 1980 par le Rodale Institute, qui mène des recherches comparant l’agriculture biologique et conventionnelle. Richard Harwood en a défini les principes : interdépendance des éléments du système agricole, équilibre biologique et limitation des perturbations extérieures.
Restée marginale pendant plusieurs décennies, l’agriculture régénératrice a regagné en popularité dans les années 2010. Elle est reconnue pour son potentiel à restaurer la santé des sols, séquestrer le carbone et réduire l’empreinte environnementale de l’agriculture.
Portée par des organisations comme Regeneration International, créée en 2017, elle est aujourd’hui promue comme une solution globale pour la durabilité des systèmes agricoles.
L’agriculture régénératrice repose sur 5 piliers :
> 3 de ceux-ci étant directement issus de l’agriculture de conservation des sols (ACS) mais élargi à tous types de production, pas uniquement les grandes cultures
> 2 allant au-delà et permettant une approche davantage systémique que celle mentionné dans l’ACS :
D’un point de vue scientifique, l'agriculture régénératrice reste moins étudiée que l’agroécologie. Les deux graphiques ci-dessous montre que sur la période 2011-2021, la fréquence d’occurrences de l’agroécologie dans la littérature universitaire est ~20 fois supérieure à celle de l’agriculture régénératrice. On note toutefois l’expansion depuis 2019 du terme agriculture régénératrice dans la littérature scientifique même si cela reste encore ~10 fois inférieur en volume à celui d’agroécologie sur la même période.
Dans ses 13 principes, l’agroécologie fait la part belle à la dimension sociale (6 principes) ainsi que les enjeux économiques (2 principes - synergie et diversification économique)
Pour l’agriculture régénératrice la dimension environnementale est prépondérante avec 3 principaux axes :
Notons toutefois que certains acteurs agroalimentaires ont une vision plus large de l'agriculture régénératrice qui englobe les dimensions sociale et économique
A l'autre bout du spectre, certains acteurs restreignent l’agriculture régénératrice à « l’agriculture du carbone » et l’emploient parfois dans des stratégies marketing. Nous pouvons considérer cela comme une dérive liée au fameux tunnel carbone, oubliant de prendre en compte les autres dimensions clés d’une transition agroécologique réussie des fermes.
Contrairement à l’agroécologie l’agriculture régénératrice n’a pas de définition légale ou réglementaire.
L’association Regeneration International définit l’agriculture régénératrice comme les pratiques agricoles et de pâturage qui, entre autres avantages, inversent le changement climatique en reconstituant la matière organique du sol et en restaurant la biodiversité dégradée des sols, ce qui entraîne à la fois une réduction du carbone et une amélioration du cycle de l’eau.
Toutefois aucune définition largement acceptée, n’a émergé dans l’usage courant, ce qui pose un risque à la récupération commerciale de ce terme.
Voici les mots issus d’un article de synthèse de Michel Duru, chercheur à l'INRAE
.« Ainsi, [pour l’agriculture régénératrice] des acceptions différentes co-existent selon les acteurs qui s’y réfèrent ou les courants de pensée sur lesquels elle repose. Les travaux Newton et al. (2020) ont montré, à partir de l’analyse de 229 articles et 25 sites web de praticiens, que les articles scientifiques traitent principalement des principes et pratiques de l’AR (utilisation de cultures de couverture, intégration culture-élevage, réduction ou élimination du travail du sol), alors que les sites web des acteurs économiques présentent surtout les services pouvant être rendus (santé des sols, séquestration du carbone et augmentation de la biodiversité). (Dachelet 2020) montre que l’agriculture régénératrice est un concept dont la base scientifique est peu fournie et dont les développements sont majoritairement extra-académiques. »
Par exemple :
Selon nous, il sera crucial dans les prochaines années de mettre tout les principaux acteurs autour de la table pour aboutir à une définition officielle de l'agriculture régénératrice afin d'éviter sa récupération commerciale pouvant ternir l'image de ce terme et de ce genre de démarche auprès du consommateur alors que ce dernier apparaît comme l'un des principaux moteurs du financement de cette transition agricole.
Depuis 2022, ReSoil accompagne le milieu agroalimentaire dans la mesure, le suivi et le financement de la transition agroécologique.
Comment ? En valorisant la donnée agricole des fermes françaises et les évolutions de pratiques au champ pour le financement de la transition agroécologique
Avec notre application web, ReSoil Carbon, nous pouvons réaliser le bilan carbone d'une ferme en 30 minutes, estimer son potentiel d'évolution à 5 ans, mesurer 15 indicateurs agroécologiques ainsi que le coût de la transition associé.
Le financement de cette transition se fait via deux mécanismes :
Etant donné que nous sommes intimement convaincu que la transition agricole sera collective ou ne sera pas, ReSoil est aussi adhérent du mouvement Pour une Agriculture du Vivant depuis 2024 en tant que partenaire technique notamment auprès des acteurs de l’amont (coopératives, négoces) et de la 1ère transformation.