Qu’est-ce que le CRCF, le projet de règlement européen sur les absorptions de carbone ?

12 septembre 2024

par
Sibylle

La loi européenne sur le climat, signée en 2021, oblige juridiquement l'Union européenne à atteindre la neutralité climatique d'ici à 2050. Pour cela, les émissions de gaz à effet de serre doivent être réduites au minimum ; mais il n'est pas possible de réduire toutes les émissions à zéro. Les réductions d'émissions doivent donc être associées à l’absorption de carbone de l’atmosphère pour compenser les émissions résiduelles. Ainsi, la Commission européenne recommande une réduction nette des émissions de gaz à effet de serre de 90 % d'ici à 2040 par rapport à 1990, à l'échelle de l'Union européenne. En parallèle, dans le cadre du paquet « ajustement à l'objectif 55 » (Fit for 55), l'UE a adopté une législation qui impose aux États membres d'éliminer 310 millions de tonnes équivalent CO2 d'ici à 2030 dans le secteur de l'utilisation des terres, du changement d'affectation des terres et de la foresterie (UTCATF) ; des activités permettant d'absorber et capter le carbone naturellement.

Évolution de la part d’émissions pouvant être absorbée par les océans et les terres, selon le scénario et degré d’émissions associé. Source : 6ème rapport du GIEC
Évolution de la part d’émissions pouvant être absorbée par les océans et les terres, selon le scénario et degré d’émissions associé. Source : 6ème rapport du GIEC

On voit sur ce graphique que la proportion des émissions de CO2 absorbée par les puits de carbone terrestres et océaniques est plus faible dans les scénarios où les émissions cumulées de CO2 sont plus élevées. Cela montre bien l'importance de combiner une stratégie de réduction et une stratégie d'absorption des émissions.

Dans ce contexte, le 10 avril 2024, le Parlement européen a adopté l’accord politique convenu à titre provisoire avec les pays de l’UE sur le premier cadre de certification volontaire pour les absorptions de carbone, le CRCF (Carbon Removal Certification Framework en anglais). Le CRCF vise à stimuler les technologies innovantes et les solutions naturelles (Nature-based solutions en anglais) d'absorption de carbone, mais aussi les pratiques agricoles qui permettent de réduire les émissions. L'objectif du CRCF est ainsi de développer un secteur efficace de l’absorption du carbone et de la réduction des émissions pour atteindre la neutralité climatique à l’échelle de l’UE d'ici à 2050. Il devra rechercher la complémentarité avec les certifications nationales existantes telles que le Label bas-carbone, et donner de la visibilité aux acteurs sur l’articulation des différentes échelles.

1) Historique du projet de règlement CRCF

©ReSoil, 2024
Historique du projet de règlement CRCF, ©ReSoil, 2024

2) Le champ d’application du règlement CRCF

Le règlement CRCF comprendra une définition des absorptions de carbone qui n'englobera que les absorptions de carbone atmosphérique ou biogénique, conformément aux travaux du GIEC. Il couvrira les activités d’absorptions de carbone et également de réductions d’émissions de CO2 ou de N2O liées aux sols agricoles. En effet, l’expérience du Label bas-carbone a montré que combiner réductions d’émission et absorptions est plus efficace pour assurer la transition.

a) Les activités couvertes par le règlement CRCF

Au titre du projet de règlement CRCF, quatre types d’activités de réduction ou d’absorption carbone pourront désormais faire l'objet d'une certification européenne :

- L’absorption permanente de carbone via les nouvelles technologies.

- Le stockage temporaire du carbone – pendant une durée d’au moins 35 ans - dans des produits de longue durée, comme les produits de construction à base de bois.

- Le stockage temporaire de carbone résultant des activités de stockage agricole de carbone (par exemple, la restauration des sols, la gestion des zones humides, ou encore les prairies sous-marines). Ces pratiques doivent être mises en œuvre pendant une durée d’au moins 5 ans.

- La réduction des émissions dans les sols résultant des activités de stockage agricole de carbone, qui inclut la réduction du carbone et du protoxyde d'azote résultant de la gestion des sols, et des activités devant globalement réduire les émissions de carbone dans les sols ou augmenter les absorptions de carbone dans les matières biologiques (gestion des zones humides, pratiques du semis sans labour et de la culture de couverture, réduction de l'utilisation d'engrais combinée à des pratiques de gestion des sols, etc.)

Les réductions d'émissions du bétail (fermentation entérique et gestion du fumier) ne sont pas encore éligibles à la certification dans le cadre du CRCF. La Commission doit réexaminer leur intégration au plus tard au 31 juillet 2026. Ces discussions montrent bien la robustesse scientifique du choix des types d’activités.

Blé (récolté) sous couvert permanent de trèfle, ferme engagée dans le Label bas-carbone, ©ReSoil, 2024
Blé (récolté) sous couvert permanent de trèfle, ferme engagée dans le Label bas-carbone, ©ReSoil, 2024

b) Les critères de qualification

De plus, les activités relevant du champ d’application du règlement CRCF doivent satisfaire à quatre critères principaux pour être certifiés : Quantification, Additionnalité, Longévité, et Durabilité ; les critères dits de « QUALITY » (QUantification, Additionality , Long-term storage, SustainabilITY).

- Quantification : Les activités d’élimination du carbone doivent mesurer précisément la quantité de carbone capturée.

- Additionnalité : Les activités d’élimination du carbone doivent aller au-delà des pratiques existantes et des exigences légales. Le Label bas-carbone parle également d’additionnalité financière, ce qui signifie que le projet n'a pas de rentabilité économique sans le financement carbone ; ce point n'est pour le moment pas mentionné par le CRCF.

- Longévité : Les activités d’élimination du carbone doivent garantir que le carbone sera stocké aussi longtemps que possible.

- Durabilité : Les activités d’élimination du carbone doivent également soutenir d'autres objectifs environnementaux, comme la biodiversité.

Les conditions précises de respect de ces critères seront définies dans des méthodes de certification adaptées aux différents types d'activités d'absorption de carbone. Celles-ci seront adoptées par la Commission, assistée d'un groupe d'experts, au moyen d’actes délégués, afin de garantir une mise en œuvre adéquate, harmonisée et un rapport coût/efficacité satisfaisant des critères d'absorption de carbone. Cette méthodologie rejoint celle du Label bas-carbone. La Commission publiera par la suite des actes d’exécution afin d’établir des règles de vérification par un tiers, en précisant les procédures applicables aux systèmes de certification, aux organismes de certification et aux processus d’audit. Enfin, la Commission approuvera des systèmes de certification – comme le Label bas-carbone – capables d’appliquer les règles du CRCF au moyen de décisions, à la suite d’une évaluation complète de la gouvernance, des règles et des procédures, accordant généralement la reconnaissance pour cinq ans.

3) Quel sera le processus de certification et à partir de quand sera-t-il applicable ?

Selon la Commission européenne, les porteurs de projet d'absorption de carbone (naturelles ou technologiques) demandant à bénéficier d’un régime reconnu par l’UE devront soumettre des plans d’activité et de surveillance. Un organisme de certification vérifiera ensuite la conformité de l'activité avec les critères et méthodologies de l'UE, en délivrant un certificat de conformité. Des audits réguliers garantiront la bonne mise en œuvre de l’activité et l'absorption de carbone ou la réduction des émissions des sols. Les activités certifiées d'absorption de carbone et de réduction des émissions dans les sols généreront des unités correspondantes (une unité correspondant à une tonne équivalent CO2 du bénéfice net certifié généré par l'une des activités d'absorption de carbone ou de réduction des émissions dans les sols). Enfin, toutes les informations de certification, y compris la quantité d'unités certifiées, seront publiées dans le registre CRCF, un registre public qui sera mis en place dans un délai de quatre ans après l'entrée en vigueur du règlement, pour éviter les doubles comptabilisations et garantir la transparence. Ce registre unique est un vrai pas en avant pour les entreprises acheteuses. En effet, si le Label bas-carbone est reconnu par la Commission comme un système de certification capable d'appliquer les règles du CRCF, les projets certifiés par le Label bas-carbone ne seront plus uniquement reconnus au niveau français mais également au niveau européen, ce qui est important pour les entreprises très internationales qui financent ces projets, dans le cadre de leur stratégie de communication et de transparence sur leur impact : ce Label parlera ainsi aux acteurs internationaux.

L’encadrement de l’utilisation qui peut être faite des certificats européens est prévu par d’autres textes, notamment la Directive Green Claims. Ces règles, y compris en ce qui concerne les adaptations correspondantes, seront réexaminées en 2026. Les unités certifiées ne pourront être utilisées que pour les objectifs climatiques et la contribution déterminée au niveau national (CDN) de l'UE et ne doivent pas contribuer aux CDN de pays externes à l'UE ni aux systèmes internationaux de conformité. Une contribution déterminée au niveau national est un plan d’action climatique national visant à contribuer à l’objectif mondial de limiter le réchauffement planétaire à 1,5 °C, à s’adapter aux effets du changement climatique et à s’assurer un financement suffisant pour soutenir ces efforts. Chaque Etat signataire de l’Accord de Paris est tenu d’établir une CDN et de la mettre à jour tous les cinq ans pour refléter une ambition de plus en plus élevée, selon la situation et les capacités de chaque pays. La CDN de la France est la Stratégie Nationale Bas-Carbone. Celle-ci décrit la feuille de route de la France pour atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050.

Ainsi, le CRCF permettrait de lutter contre le greenwashing, en garantissant des critères de qualité à l’échelle de l’UE et en imposant la vérification par un tiers et la publication d’informations relatives à la certification dans un registre à l’échelle de l’UE. Cela assure la crédibilité des crédits carbone.

4) Les limites du CRCF

Le CRCF suscite encore de nombreux débats.

Tout d’abord, le texte actuel laisse entendre que les crédits carbone issus de projets agricoles ou forestiers de séquestration carbone (Nature-based Solutions) sont de moindre qualité que ceux générés par des technologies nécessaires mais seulement émergentes. En effet, il y a un risque de réémission du carbone séquestré dans les sols et la biomasse, pouvant être dû à des perturbations naturelles ou des incendies de forêt par exemple. Des « mécanismes de responsabilités », existent déjà pour prévenir ces risques au niveau global. Au-delà du recours à ces mécanismes, l’Europe se dirige vers des certificats temporaires plutôt que permanents pour gérer ce risque de réémission. Comme l’explique la NBS Coalition dans une lettre ouverte, cela privilégierait alors les technologies émergentes, au détriment de projets agricoles ou forestiers ; puisque les entreprises pourraient être plus réticentes à acheter des crédits carbone qualifiés de "temporaires" pour servir une stratégie Net Zero. Mais les projets agricoles et forestiers fonctionnent aujourd'hui, ils peuvent également durer des centaines d'années et les normes internationales proposent désormais des mécanismes de gestion des risques pour résoudre ce problème. De plus, ces projets fournissent de nombreux cobénéfices sociaux, sur la préservation de la biodiversité et des ressources naturelles, contrairement aux projets technologiques de stockage permanent du carbone. Cependant, il ne faut pas opposer technologies et Nature-based Solutions ; ces deux approches sont complémentaires – mais les technologies de captage et de stockage de carbone n’étant pas encore assez développées aujourd’hui, il est nécessaire de soutenir les activités de stockage qui fonctionnent actuellement. La définition des critères d’application de ces certificats temporaires sera donc un point essentiel pour ne pas rendre moins attractifs les financements carbone vers les secteurs agricoles et forestiers.

Semis de couvert végétal, ©ReSoil, 2024
Semis de couvert végétal, ©ReSoil, 2024

De plus, un des critères du CRCF est la durabilité : les activités d’éliminations du carbone doivent soutenir d'autres objectifs environnementaux, comme la biodiversité. Cependant, aucun indicateur permettant de mesurer la biodiversité n’a été précisé. Cela soulève des questions : le règlement CRCF s’alignera-t-il sur les indicateurs du Label bas-carbone, qui prennent en compte - au moins partiellement - ces aspects ?

Enfin, l’additionnalité est un critère clé : un crédit carbone ne doit pas récompenser une terre ou une forêt stockant déjà du carbone, mais il doit récompenser un projet augmentant le stockage de carbone. Cependant, les législateurs affirment à la fois vouloir encourager les changements de pratiques, tout en récompensant les pionniers du Carbon Farming. Ces deux objectifs semblent difficilement conciliables. Il faudrait donc potentiellement créer deux systèmes de financement distincts, car il est effectivement clé d'encourager les pionniers du Carbon Farming dans le maintien de leurs pratiques. Il faut toutefois pouvoir garantir l'impact additionnel de chaque crédit carbone sur le climat, comme le fait aujourd'hui le Label bas-carbone en France.

Conclusion

Afin de faire face à la diminution de nos puits de carbone naturels, un investissement massif dans la protection et le renouvellement de nos forêts et de nos sols est nécessaire. Le crédit carbone peut constituer un levier efficace pour mobiliser et orienter des financements. Ainsi, le règlement CRCF adopté à titre provisoire établit un ensemble spécifique de critères visant à garantir la qualité des absorptions de carbone ainsi que la transparence et la crédibilité du processus de certification. Il établira également des règles de reconnaissance des systèmes de certification qui répondent aux exigences du cadre de l'UE. Même si ce règlement est en cours de construction et que plusieurs problématiques doivent encore être résolues, il constitue une véritable avancée pour atteindre la neutralité climatique à l’échelle de l’UE d’ici 2050.

De plus, les marchés carbone volontaires sont actuellement les principaux utilisateurs de la certification carbone. Cependant, l'Union européenne envisage d'étendre l'usage de ces certificats pour d'autres formes de financement, comme les financements publics et les marchés réglementaires à venir. Cette ouverture est cruciale pour répondre aux besoins de financement des secteurs agricole et forestier, où une combinaison de sources de financement sera indispensable pour faciliter la transition vers des pratiques durables.

ReSoil : des projets certifiés par le Label bas-carbone

La mission de ReSoil est de favoriser la transition vers une agriculture durable pour la planète, viable économiquement pour les agriculteurs et comprise par tous en reconnectant le monde agricole et celui des entreprises. Les projets de régénération de puits de carbone agricoles développés par ReSoil en France sont certifiés par le Label bas-carbone. Avec l'adoption du CRCF, ces projets pourront désormais bénéficier d'une reconnaissance européenne, renforçant ainsi leur visibilité et crédibilité à l'échelle de l'UE - ce qui permettra d'accélérer la transition agricole vers des pratiques durables.

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