3 septembre 2024
L’alimentation est souvent mise en avant en tant que second poste d’émissions de Gaz à Effets de Serre (GES) en France. Elle représente environ 25% des émissions annuelles des français, située entre les moyens de transport (environ 27%) et le logement (environ 20%).
La viande ressort comme le principal poste d’émissions de GES de l’alimentation (environ 37% des émissions liés à l’alimentation) suivi par les boissons (15%), les produits laitiers (14%), les fruits et légumes (10%) et les céréales et légumineuses (7%).
Ce type de répartition apporte une vision « compartimentée » des productions alimentaires. Or, elles sont en interaction les unes avec les autres au niveau de la production au champ. En effet, les cultures de céréales, les légumineuses et les cultures fourragères (à destination de l'élevage) se complètent et se concurrencent au sein des systèmes de culture de chaque exploitation. De plus, les émissions liées aux denrées alimentaires d’origine animale sont non seulement liées aux émissions des aliments qu’ils consomment mais aussi aux émissions entériques de méthane (CH4) et du protoxyde d’azote (N2O) par redéposition de l’ammoniac issu des effluents d’élevage. Ces deux sources d’émissions sont elles-mêmes variables selon les rations alimentaires.
Dans tous les cas de figure, la viande issue de ruminants (bovin, ovin et caprin) ressort en moyenne toujours à la première place des aliments en terme d'intensité carbone (kgeqCO2/kg de produit). Néanmoins, ce type de denrée alimentaire présente également la plus forte variabilité dans l'évaluation de son intensité carbone, suivi des produits laitiers également liés aux ruminants, puis des viandes blanches (porc et poulet) et enfin des denrées végétales.
Les émissions liées aux aliments provenant des ruminants, que ce soit la viande ou les produits laitiers, ne dépendent pas seulement des émissions de méthane. Par exemple pour les bovins, les émissions proviennent en moyenne pour plus de la moitié de la fermentation entérique (méthane) et pour un quart de la gestion des effluents en bâtiment. Le dernier quart provient des émissions ayant lieu lors de l’épandage des effluents et celles liées à l’alimentation du bétail.
Dans le cas des élevages porcins, les principales émissions de GES proviennent du méthane produit (94% hors aliments), liées en particulier à la gestion du stockage des effluents (environ 70% des émissions de méthane) (source : IFIP). En quantité d’émissions, le méthane issu des élevages de porc est émis en bien moins grande quantité que celui provenant de l’élevage bovin.
Les émissions de GES des élevages porcins et avicoles dépendent fortement de celles des cultures qu’ils consomment étant donné qu’ils sont granivores. L’alimentation représente 40% et 67% des émissions de GES pour les porcs et les volailles respectivement. L’empreinte carbone des aliments peut notamment fortement varier selon celle des matières premières et en particulier selon la provenance du soja, issu de déforestation ou non.
En raison des émissions liées à l’alimentation et au stockage des effluents, la variabilité entre intensités carbones pour un même aliment d’origine animale peut être très importante. L’empreinte carbone des aliments varie pour ces raisons fortement selon les sources.
Cette variabilité est encore plus forte pour les produits d’origine herbivore selon les systèmes de culture. Cela s'explique par un facteur de variation de l'intensité carbone supplémentaire par rapport aux porc et volailles : le stockage de carbone permis par les ruminants via les prairies. A titre d’exemple, une prairie permanente stock autant de carbone dans le sol qu’une forêt. Attention, ce n’est néanmoins pas le cas des parties aériennes. De plus, ce sont les prairies permanentes qui accueille le plus de systèmes agro-forestiers, pratiques très favorable au stockage de carbone dans les sols. C’est la raison pour laquelle la différence est si importante entre l’empreinte carbone moyen au niveau mondial (graphique en bas à gauche, OurWorldinData) de 129,8keqCO2/kg et celle au niveau français de 33,33keqCO2/kg (graphique en bas à droite, Agribalyse).
Il faut relever que l’intensité carbone est exprimée par kg d’aliment. L’évaluation de l’empreinte carbone d’une recette et/ou d’un plat doit tenir compte de la proportion relative entre chaque ingrédient. Les émissions liées à la transformation, aux emballages et au transport sont quant à elles peu significatives (inférieur à 15% des émissions totales) pour les denrées d’origine animale. Pour les denrées fabriquées à partir de végétaux principalement, la part de la transformation est très variable allant de 18% pour la baguette de tradition à 77% pour la pomme de terre de conservation.
Les cas du riz, du cacao et du café sont spécifiques étant donné qu’ils présentent des intensités carbones du même ordre de grandeur que les produits d’origine animale.
Nutrition humaine mise de côté, il pourrait sembler cohérent de réduire drastiquement les denrées d’origine animale de notre alimentation. Néanmoins, cette pratique aurait de très fortes conséquences sur les productions végétales à destination de l’alimentation humaine.
Au sein des exploitations agricoles, les cultures s’enchainent les unes après les autres sur une même parcelle au fil des années. Une diversité raisonnée d’espèces cultivées permet une gestion plus durable des grandes cultures, tant en termes de GES que de réduction de l’usage des produits phytosanitaires.
Le principal levier de réduction des GES en grandes cultures consiste à réduire l’usage des engrais azotés de synthèse. Pour ce faire, la majorité des leviers mis en place sont liés à l’élevage.
En premier lieu, les effluents d’élevage constituent non seulement un apport d’azote remplaçant les engrais de synthèse mais aussi une source de carbone stockable dans le sol.
De plus, l’insertion de légumineuses permet de réduire les apports d’engrais azotés à l’échelle de l’exploitation compte tenu de leur capacité à fixer naturellement l’azote atmosphérique via leur symbiose bactérienne. L’alimentation animale, en particulier les monogastriques (porc et volailles), est le principal consommateur de légumineuses à graines (environ 70% en France). De plus, les légumineuses restituent de l’azote aux cultures suivantes réduisant ainsi indirectement la consommation d’engrais azotés de synthèse. Les espèces permettant la plus grande fixation d’azote atmosphérique sont les légumineuses fourragères (trèfles, luzerne, sainfoin …) que seuls les herbivores peuvent valoriser. Ces légumineuses, au même titre que les praires temporaires, s’insèrent dans la rotation culturale et permettent de stocker une quantité importante de carbone tout en s’affranchissant de beaucoup d’intrants de synthèse.
En outre, la mise en culture de beaucoup d’espèces est conditionnée à leur usage en alimentation animale. L’orge n’est par exemple quasiment jamais consommée en alimentation humaine en France (moins de 1%), secteur de la brasserie (15% des utilisations environ) mise de côté. Il en est de même pour le triticale. Du coté du blé tendre, la consommation en alimentation humaine devrait être accentuée mais n’est pas toujours possible. En effet, l’aptitude à la panification et/ou la qualité sanitaire (teneur en mycotoxines notamment) ne satisfont pas toujours aux critères propres à la consommation humaine. En cas de non conformité, les volumes de blé tendre sont réorientés vers l’alimentation animale pour permettre tout de même à cette céréale d'assurer sa vocation alimentaire. Le poulet est par exemple très peu sensible aux mycotoxines et peu valoriser du blé tendre inapte à la consommation humaine.
Pour finir, les co-produits issus de la transformation des céréales et des oléagineux ne peuvent être valorisés à ce jour qu’en alimentation animale (ou en énergie pour une faible partie). C’est notamment le cas du son de blé (enveloppe du grain) principalement destiné aux herbivores ou encore du tourteau de colza, co-produit issu de l’extraction de l’huile et riche en protéines, consommable par l'ensemble des animaux d'élevage. Le développement de filières en alimentation humaine est indispensable pour réduire la part des productions végétales à destination de l’alimentation animale mais la substitution ne pourra jamais être totale. De près ou de loin, la valorisation alimentaire totale de chaque production en grandes cultures est dépendante de l’élevage.
L’amplification des interactions entre espèces végétales est indispensable à la transition bas carbone des systèmes de culture. Pour rappel, les cultures représentent près de la moitié des émissions de GES de l’agriculture. Cela ne présuppose pas de devoir augmenter la production animale mais de ne pas perdre de vue la nécessité de raisonner le système dans son ensemble. Une réduction annoncée des cheptels bovins ne doit surtout pas résumer les enjeux de la décarbonation de l’agriculture d’autant que des réductions d’intensités carbone sont atteignables par des évolutions de pratiques zootechniques (science de l'élevage).
La variabilité des intensités carbone n’est pas seulement réelle entre denrées alimentaires différentes mais aussi entre denrées comparables. Les céréales peuvent être par exemple être comparées entre elles compte tenu de leur profils nutritifs proches.
Deux types de production bovines existent : les vaches laitières et les vaches allaitantes. Les premières ont pour vocation première la production de lait tandis que les secondes sont consacrées à la production de viande. Dans le cas des vaches laitières, les émissions de GES et le stockage de carbone via les prairies permanentes sont distribués selon une clé de répartition entre le lait et la viande. De fait, la quantité d’aliment totale produite est plus importante dans le cas des vaches laitières en produisant du lait et de la viande. C’est la raison principale pour laquelle la viande de vache laitière de réforme, c’est-à-dire une vache envoyée à l’abattoir car ne produisant plus suffisamment, a une empreinte carbone plus faible que les taurillons issus d’élevage allaitants (cf graphique ci-dessus). La base de données Agribalyse fait également ressortir que les vaches laitières de réforme ont une empreinte carbone plus faible lorsqu’elles sont nourries à l’ensilage de maïs par rapport à un système herbager de montagne. Ce résultat peut néanmoins être biaisé par la méthodologie de calcul qui affecte le même stockage de carbone, via les prairies permanentes, entre les systèmes ensilage et les systèmes herbagés.
Ces chiffres d’Agribalyse sont néanmoins en contradiction avec ceux de l’institut de l’élevage. Cet organisme met en avant une empreinte carbone nette inférieure pour le lait issu de systèmes herbagers de montagne par rapport au système de plaine avec ration à l’ensilage de maïs. Le premier compenserait en effet 51% de ses émissions via le stockage des prairies permanentes tandis que le second ne compenserait que 8% des émissions bovines dans le cas d’une ration supérieur à 30% d’ensilage de maïs.
Il faut donc prendre ces données comparatives avec précaution d’autant que les émissions entériques peuvent également varier selon les races de vaches. La granularité de ces empreintes carbone doit encore être affinées. Les différentes méthodologies de mesure apportent aussi leur lot de variabilité.
Le riz émet lors de sa culture une grande quantité de méthane. Cela s’explique par la décomposition des matières organiques au champ en absence d’oxygène, à l’image de ce qui se produit naturellement dans les marécages. Cela se produit pour le riz lors de l’immersion des parcelles. C’est notamment le cas des rizières en terrasses, emblématiques des pays asiatiques. Seul le riz pluvial échappe à ce phénomène mais représente moins de 20% de la production mondiale et est principalement concentré en Afrique. De plus, le riz est fertilisé comme toute culture céréalière avec des engrais azotés de synthèse, générateur dune forte quantité de protoxyde d'azote, pour bénéficier de hauts rendements.
Compte tenu du phénomène de méthanisation au champ en situation de submersion des parcelles, le riz présente en moyenne une empreinte carbone plus de 10 fois supérieur au blé tendre à la sortie du champ (graphique en haut à gauche). Au niveau mondial, les rizières représenteraient environ 24% des émissions de méthane pour 27% dans le cas de l’élevage en 2021 (Graphique en haut à droite, source : climatewatchdata). Ces proportions sont néanmoins revues d’une année à l’autre et varient fortement selon les sources. La très forte variabilité des émissions liées à l’élevage peut en être la cause.
Le mode de production peut également influencer l’intensité carbone d’un produit. La comparaison entre agriculture biologique et conventionnelle apparait souvent en premier dans ce type de comparaison. Bien que l’agriculture conventionnelle utilise des engrais azotés de synthèse générant du protoxyde d’azote, gaz à effet de serre très puissant, la différence d’intensité carbone entre ces deux modes de production reste très variable.
Selon la base de données Agribalyse, l’intensité du blé tendre conventionnel s’élève à 470keqCO2/tonne de grains tandis que celle blé tendre biologique varie de 290 à 710keqCO2/tonne de grains. Malgré des émissions plus élevées à l’hectare en conventionnel, la différence de rendement est telle que les intensités carbone ne sont pas discriminantes.
Agribalyse a publié les valeurs d’une dizaine de système de culture en agriculture biologique. Cette variabilité est le reflet de la diversité de pratiques possibles au champ mais aussi des conditions pédoclimatiques à travers la France. Bien que différents scénarii n’aient pas été publiés pour le blé tendre conventionnel, il existe également une vaste panoplie de systèmes de culture à travers la France entrainant des intensités carbone très variables selon les modes de production conventionnels.
Afin de distinguer les différentes intensités carbone, nous réalisons chez ReSoil des diagnostic carbone à l’échelle de l’exploitation en incluant l’ensemble des cultures. Cela permet ainsi de favoriser les pratiques les plus vertueuses qui ne sont pas toutes équivalentes selon les contextes pédoclimatiques.