Préservation de l'eau, contribution carbone locale et agriculture biologique : la transition de la ferme Goiset

07 avril 2025

- par
Perrine

Sébastien représente la troisième génération à la tête de la Ferme Goiset. Il cultive aujourd’hui 250 hectares sur la commune de Villemaréchal, en Seine-et-Marne. Agriculteur depuis près de vingt ans, il est également adjoint au maire de sa commune et président de la caisse locale du Crédit Agricole.

En 2022, il a pris une décision majeure : convertir l’ensemble de son exploitation à l’agriculture biologique. Cela signifie se passer totalement de produits phytosanitaires et d’engrais de synthèse, diversifier ses cultures, repenser les itinéraires techniques, réinvestir dans du matériel, et surtout, accepter une prise de risque économique importante.

(©ReSoil, 2025)
Moisson orge d'hiver - Ferme de Sébastien

L'agriculture biologique, entre enjeu territorial lié à l’eau, convictions écologiques et complexité technique

Sébastien a d'abord entamé une phase de réduction progressive des intrants, avant d'engager sa transition vers l’agriculture biologique. Cette décision a été motivée par le fait que certaines de ses parcelles se trouvent sur une zone de captage d’eau exploitée par Eau de Paris à destination du réseau d'eau de la ville de Paris. L’organisme a des enjeux importants liés au traitement de l’eau, impacté par l'utilisation de produits chimiques sur les espaces agricoles. Eau de Paris a donc fait le choix d’accompagner techniquement et financièrement les agriculteurs vers l’agriculture biologique, c'est-à-dire l'arrêt total de l'utilisation de produits chimiques dans la conduite culturale de l'exploitation. En soutenant ces transitions, les bénéfices sur la qualité de l’eau sont considérables : le traitement de l’eau coûte très cher, et la bio permet de limiter les intrants à la source.

Quelques mots de Léa LIGONNIERE :

Chargé de mission agriculture et Territoire | Eau de Paris

« L’eau acheminée jusqu’à Paris provenant de territoires avec une forte dominance agricole, Eau de Paris accompagne depuis plusieurs années les agriculteurs volontaires pour faire évoluer leurs pratiques (réduction d’intrants, passage à l’agriculture biologique). L’objectif étant de limiter les risques de dégradation des eaux à la source et, de ce fait, limiter les traitements des eaux qui sont de plus en plus coûteux et complexes.
Cet accompagnement est à la fois technique (conseils individuels), collectif (visites de terrain, intervention d’experts, partages d’expériences) et économique (mise en place des Paiements pour Services Environnementaux depuis 2020). Cela permet aux agriculteurs de tester de nouvelles cultures et de nouvelles pratiques, d’investir dans de nouveaux outils et de se les approprier, tout en faisant face au changement climatique et à l’évolution de la réglementation. »

L’agriculture biologique implique l’arrêt total des intrants chimiques et des pesticides. Il faut donc mettre en place de nouvelles pratiques, comme, par exemple, l’introduction de légumineuses dans les rotations : luzerne, féverole, triticale… Ces cultures permettent de fixer naturellement l’azote dans le sol, de nourrir les cultures suivantes et de concurrencer les adventices. C’est un levier précieux pour se passer des engrais de synthèse, interdits en bio.

Mais la conversion, c’est aussi un chemin semé d’embûches. Les rendements ont chuté de 50 %. L’accès aux débouchés n’est pas toujours garanti notamment pour les légumineuses fourragères. L’absence d’élevage local empêche également sa valorisation en alimentation animale. Pour éviter de laisser ces surfaces inutilisées, Sébastien serait même prêt à mettre 50 hectares à disposition d’éleveurs pour la pâture, mais il ne trouve pas de partenaires. Le résultat est sans appel : une partie des cultures n’est pas valorisée, ce qui représente des pertes économiques importantes.

Pour contrôler les adventices, Sébastien ne peut pas utiliser d’herbicides ou de solutions chimiques. Le désherbage se fait donc mécaniquement. Il a investi dans une herse étrille, une machine qui vient griffer la surface du sol pour déraciner les mauvaises herbes sans le retourner. C’est un outil incontournable en bio, qu’il utilise deux à trois fois par an selon les conditions météo. Mais les passages doivent être parfaitement calés : trop tard, les adventices prennent le dessus ; trop tôt ou sur un sol trop humide, et la herse risque d’endommager irrémédiablement la structure du sol. « C’est la météo qui nous commande », résume Sébastien.

(©ReSoil, 2025)
Sébastien devants la herse étrille lors de la visite de ferme - Mars 2025

Le carbone comme levier de transition, la contribution carbone comme un des mécanismes de financement de celle-ci

Le projet de Sébastien, au-delà des enjeux liés à la qualité de l’eau, s’inscrit dans une vision agronomique et écologique forte, avec un objectif global : remettre du carbone dans les sols et préserver la biodiversité. C’est dans ce contexte que ReSoil l’a accompagné dans la mise en œuvre d’un projet labellisé bas-carbone. Le plan d’action a été défini avec lui par les ingénieurs agronomes de ReSoil, en cohérence avec sa conversion à l’agriculture biologique et son ambition de transition agroécologique.

Plan d’action du projet Label bas-carbone :

  • Conversion à l’agriculture biologique à partir d’avril 2022 : arrêt de la fertilisation minérale et des produits phytosanitaires.
  • Engrais organiques : arrêt des apports de compost de fraction solide de lisier (Humocal), remplacé par des fientes de volaille (50 à 75 tonnes/an sur triticale, une céréale).
  • Couverts végétaux : introduction d’un mélange féverole-avoine avant les cultures de printemps (orge et tournesol) sur triticale.
  • Déploiement généralisé de couverts végétaux avant les cultures de printemps et d’été (orge de printemps, tournesol…).

Hors périmètre du Label bas-carbone :

  • Les différentes jachères et les prairies temporaires fauchées.
  • L'implantation de nombreuses haies autour des parcelles de Sébastien.

Grâce à ce dispositif, Sébastien bénéficie d’un accompagnement agronomique et a pu obtenir un financement qui lui a notamment permis d’investir dans du matériel adapté à ses nouvelles pratiques, comme une herse étrille. Ce projet, soutenu par Urbasolar via son action de contribution carbone locale, permettra d’éviter l’émission de près de 695 tonnes équivalent CO₂, soit l’équivalent des émissions annuelles d’environ 70 Français.

Le Label bas-carbone, créé par le Ministère de la Transition écologique en 2019, est aujourd’hui le seul cadre étatique permettant de certifier de manière rigoureuse les réductions d’émissions de gaz à effet de serre sur le territoire national. Il repose sur des méthodes scientifiques reconnues et sur des audits réalisés par des tiers indépendants (Control Union, Bureau Véritas par exemple). Les crédits carbone générés ne peuvent pas être revendus par les entreprises financeuses : cela garantit l’absence de spéculation et de double comptage.

Ce label a été conçu en réponse à un besoin croissant de fiabilité et de transparence dans le secteur de la compensation carbone. Pendant des années, de nombreuses entreprises ont orienté leurs investissements vers des projets éloignés, parfois douteux comme la plantation d’arbres à l’autre bout du monde souvent sans garanties solides sur la réalité des impacts climatiques. Ces démarches, bien qu’affichant de bonnes intentions, relevaient parfois davantage du greenwashing que d’un engagement sincère pour le climat.

Avec le Label bas-carbone, la France a souhaité instaurer une approche exigeante et locale de la contribution à la neutralité carbone : un cadre qui favorise des projets concrets, mesurables, durables et ancrés dans les territoires. À travers ce label, les entreprises peuvent s’engager dans des projets à fort impact local, bien loin des scandales qui ont récemment ébranlé les certifications carbone internationales.

(©ReSoil, 2025)
Logo du Label bas-carbone, créé par le Ministère de la Transition écologique en 2019

Des co-bénéfices multiples pour l'environnement

Le projet mené à la Ferme Goiset ne se limite pas au carbone. C’est toute une série de co-bénéfices environnementaux qui sont restaurés :

  • Zéro pesticide : grâce à la conversion en bio, aucun produit phytosanitaire de synthèse n’est utilisé. Cela préserve les pollinisateurs, les organismes du sol et la santé des riverains.
  • Qualité de l’eau : l’abandon des engrais azotés minéraux réduit les fuites de nitrates vers les nappes et les rivières, limitant les risques de pollution et de prolifération d’algues vertes. La lixiviation de nitrates a ainsi diminué de 14 %.
  • Qualité de l’air : l’absence d’engrais minéraux diminue aussi les émissions d’ammoniac, un gaz contribuant à la formation de particules fines. Ces émissions ont chuté de 94 %.
  • Érosion des sols : les couverts végétaux et la réduction du travail du sol permettent de maintenir la structure des sols et de conserver leur fertilité à long terme. Une légère amélioration a été constatée, avec une baisse de l’érosion estimée à 8 %.
  • Économie d’énergie pour le travail du sol : les changements de pratiques permettent également une réduction significative de l’énergie nécessaire aux interventions mécaniques, avec 45 920 MJ/an économisés (-15 %).
  • Biodiversité fonctionnelle : 33 % des surfaces sont couvertes par des plantes favorables aux pollinisateurs (+17 %), tandis que près de 30 % des terres sont maintenues sans traitement phytosanitaire, réduisant les perturbations pour la faune sauvage.
  • Services rendus à la société : le projet contribue à réduire significativement la déforestation importée (près de 44,36 t/an évitées) en produisant sur la ferme plus de protéines végétales. Cela allant dans le sens l'autonomie protéique de la France permettant ainsi de réduire ses importations de soja du Brésil.
  • Potentiel nourricier énergétique : comme souvent dans les systèmes extensifs et durables, le rendement calorique est en baisse, avec une diminution de 3,28 PN (-46 %), au profit d’une meilleure durabilité globale.

La biodiversité au cœur du projet

Sébastien et son épouse Élisabeth ne se sont pas arrêtés là. Ils ont créé une marque de cosmétiques, Peau de Miel, à partir du miel produit sur l’exploitation. Récemment, leur miel a obtenu la certification "Produit en Île-de-France", une belle reconnaissance de leur engagement pour une production locale et durable. Pour soutenir la production apicole, ils ont semé plusieurs hectares de jachères mellifères : phacélie, sarrasin, mélilot, sainfoin… Des espèces qui attirent les pollinisateurs tout en améliorant la structure des sols.

(©ReSoil, 2025)
Peau de Miel - marque de Sébastien et Élisabeth

Mais surtout, la ferme a vu fleurir plus de 4 400 arbres mellifères, répartis en haies plantées lors de trois chantiers : en 2016 (avec le soutien de la Fondation Yves Rocher), en 2019, puis en 2022 (financées par la Région Île-de-France). Ces haies ne sont pas décoratives : ce sont de véritables infrastructures écologiques. Elles limitent l’érosion, filtrent les eaux de ruissellement et contribuent à améliorer la qualité de l’eau captée en aval. Elles stabilisent également les sols, abritent la biodiversité, stockent du carbone, et guident les chauves-souris, qui participent à la régulation naturelle des pucerons.

Eau de Paris suit de près l’entretien de ces haies, car elles jouent un rôle stratégique dans la préservation de la ressource en eau.

(©ReSoil, 2025)
Plantation de haies

Les défis d'un quotidien sous tension

Sur le terrain, la réalité est plus rude. Les investissements sont lourds : Sébastien a injecté plus de 100 000 euros dans le projet Peau de Miel, mais l’activité n’est pas encore rentable. La diversification des cultures - triticale, orge d’hiver, luzerne, blé… est techniquement exigeante et nécessite une attention de chaque instant. Les semis doivent parfois être retardés pour éviter la levée des adventices. Les pics de travail sont intenses, et il ne faut pas louper la courte fenêtre disponible pour semer.

En bio, le rendement dépend surtout… de l’azote.
L’azote, c’est un peu l’« essence de la plante » : plus il y en a dans le sol, mieux les cultures poussent. Mais en bio, cet azote provient uniquement d’engrais organiques ou de la minéralisation naturelle de la matière organique. Ces engrais sont longs à préparer, difficiles à épandre (surtout quand les sols sont trop humides), et très chronophages. Autre difficulté : une partie des terres de Sébastien contient des silex, ce qui complique sérieusement le travail du sol.

Le contexte du bio, entre espoir et revers

En 2020, le bio semblait promis à un avenir radieux. Les conversions se multipliaient, les consommateurs plébiscitaient les produits, les politiques affichaient leur soutien. Puis la crise a frappé. Guerre en Ukraine, inflation, baisse du pouvoir d’achat : la demande a chuté. Les prix à la production ont stagné, tandis que les coûts explosaient. Beaucoup d’agriculteurs ont été pris à revers, et certains ne s’en sont pas remis. Sébastien en témoigne avec émotion : certains de ses amis, pourtant à la tête de grandes exploitations, se sont suicidés.

Dans ce contexte, les financements obtenus via le Label bas-carbone représentent une bouffée d’oxygène — mais aussi une forme de reconnaissance. Ils permettent à des entreprises de soutenir des projets concrets, portés par des agriculteurs engagés, en lien direct avec les enjeux environnementaux et sociaux des territoires.

Visiter pour comprendre !

En mars 2025, des équipes de la DGAC et de Mutares se sont rendues à Villemaréchal pour découvrir concrètement le projet mené par Sébastien. Ces temps de rencontre sur le terrain sont précieux : ils permettent de comprendre la réalité du métier d’agriculteur, de mesurer les défis techniques et économiques du passage à l’agriculture biologique, et d’échanger sans filtre sur les réussites comme sur les difficultés.

Mais au-delà de la compréhension, ces visites sont aussi un appel à l’action. Elles rappellent que les entreprises ne sont pas de simples spectatrices de la transition agricole : elles peuvent en être des actrices majeures. En soutenant financièrement des projets comme celui de Sébastien, elles participent activement à la transformation de notre système alimentaire. Elles contribuent à rendre viable une agriculture plus durable, plus diversifiée, plus résiliente.

Les enjeux sont réels, urgents et systémiques. Il ne s’agit pas uniquement de séquestration carbone ou de biodiversité, mais bien de l’avenir de notre alimentation. Ce que l’on choisit de produire, comment on le cultive, avec quels impacts sur les sols, l’eau, la santé… ce sont des choix de société. La transition agricole ne se fera pas sans les agriculteurs, mais elle ne se fera pas non plus sans un engagement massif des entreprises et des citoyens.

Face à cela, chaque entreprise peut se poser une question simple : à quoi contribue concrètement mon financement ? Et chaque réponse, sur le terrain, a un visage, une ferme, une histoire. Ces visites sont l’occasion de le voir de ses propres yeux. Elles donnent du sens à l’engagement climatique et montrent que oui, on peut faire bouger les choses.

(©ReSoil, 2025)
Visite de ferme avec la DGAC et Mutares

Conclusion : une transition agricole à l'oeuvre partout en France

La Ferme Goiset n’est pas une exception : elle reflète les transitions agricoles à l’œuvre partout en France. C’est une ferme portée par un agriculteur et apiculteur passionné, confronté à des difficultés bien réelles, mais déterminé à faire évoluer ses pratiques. C’est aussi un exemple concret de ce que le Label bas-carbone peut apporter : des financements, oui, mais aussi de la reconnaissance, du lien, et du sens.

Soutenir cette agriculture, c’est soutenir une vision de long terme, fondée sur le vivant, la résilience et l’ancrage territorial. C’est redonner à nos campagnes la place qu’elles méritent dans la lutte contre le changement climatique. Et c’est rappeler qu’il n’y a pas de transition écologique sans les agriculteurs.

ReSoil accompagne les agriculteurs dans leur transition vers des pratiques plus durables, tout en permettant aux entreprises de soutenir des projets agricoles locaux, labellisés bas-carbone.
Chaque financement contribue à une transformation concrète sur le terrain, au service du climat, de la biodiversité, et d’une alimentation plus résiliente.

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