Agriculture régénératrice & consommation d'eau

12 juin 2024

par
Hilaire

En France, la ressource en eau est abondante, elle est utilisée à des fins domestiques et économiques. Le secteur de l’agriculture est le principal consommateur d'eau douce en France, représentant 62% de la consommation totale, devant les 22% consommés pour la production d'eau potable, les 12% consacrés au secteur de l'énergie, et les 4% attribués à l'industrie.

Bien que les précipitations soient généralement suffisantes pour répondre aux différents besoins en eau sur le territoire, leur distribution inégale dans le temps et dans l'espace peut entraîner des pénuries occasionnelles ou même structurelles. Les sécheresses répétées des dernières années, notamment dans la moitié nord de la France, autrefois moins affectée, ont révélé la vulnérabilité de l'agriculture aux effets du changement climatique. En période d’étiage, l'agriculture, qui est le principal consommateur d'eau, se trouve souvent au cœur des débats sur la répartition de cette ressource. L'irrigation et la mobilisation de nouvelles ressources sont envisagées comme des solutions pour assurer la viabilité économique des territoires. Cependant, toute réflexion sur l'augmentation de l'offre d'eau doit s'inscrire dans une démarche globale qui prend en compte les besoins des autres usagers, sans oublier celui des écosystèmes.

Cet article se concentre sur la gestion de l'eau en agriculture, un domaine crucial puisque le secteur agricole est non seulement un grand consommateur d'eau mais également une clé pour limiter le changement climatique. Nous débuterons par un examen des défis actuels et des enjeux liés à l'eau dans l'agriculture. Ensuite, nous explorerons diverses stratégies que le secteur met en œuvre pour optimiser l'utilisation de cette ressource vitale.

I. La ressource en eau, enjeux et problématiques

Avant de développer cette partie, il est important de clarifier la distinction entre les termes "consommation" et "prélèvement" d'eau. La consommation d'eau est calculée en soustrayant la quantité d'eau restituée à l'environnement de celle qui a été initialement prélevée.

Soit : eau consommée = eau prélevée - eau restituée à son milieu

a) Les usages de l’eau en France

En France, l’usage de l’eau est réparti de la manière suivante :

Prélèvement d'eau par usage (dont l'agriculture) en France - Source : OFB, BNPE
Prélèvement d'eau par usage (dont l'agriculture) en France - Source : OFB, BNPE

Consommation d'eau par usage (dont l'agriculture) en France - Source : OFB, BNPE
Consommation d'eau par usage (dont l'agriculture) en France - Source : OFB, BNPE

En 2019, l'agriculture a consommé environ 60 % de l'eau douce et a réalisé 10 % des prélèvements totaux. Près de 90 % de cette eau prélevée sert à l'irrigation des cultures, surtout en été, le reste étant utilisé pour le bétail et l’entretien du matériel. Dans le cas d’exploitations spécialisées en grandes cultures, 18% des surfaces sont irrigables.

La consommation d'eau agricole atteint son sommet durant l'été. Sur trois-quarts du territoire métropolitain, l'agriculture représente plus de 50 % de la consommation totale d'eau de juin à août, d'après un rapport du ministère de la transition écologique. Des zones comme les sous-bassins de Mayenne-Sarthe-Loir, de Charente, et les côtes aquitaines et charentaises, confrontées à un manque de ressources en eau douce et à une consommation estivale élevée, subissent un stress hydrique sévère en cette période.

Parmi les cultures les plus gourmandes en eau figurent les céréales, les légumes, les vergers, le soja, les pommes de terre et le maïs qui représente à lui seul plus d’un tiers des surfaces irrigués. En 2020, environ 35 % des terres cultivées en maïs étaient irriguées, ainsi que près de 40 % des surfaces de pommes de terre et de soja. Les vergers et les légumes dépendaient encore davantage de l'irrigation, avec plus de la moitié et plus de 60 % de leurs surfaces respectivement irriguées.

En zone tempérée, la culture de 1 kg de blé requiert environ 590 litres d'eau. Pour comparaison, la production d'1 kg de soja nécessite 900 litres, celle d'1 kg de pommes de terre 590 litres, d'1 kg de maïs grain 454 litres, et d'1 kg de maïs ensilage 238 litres. Bien que le maïs demande moins d'eau par kilogramme comparé au blé, sa période de croissance, plus courte et concentrée durant l'été, en fait la culture la plus irriguée.

b) L’impact du changement climatique

Le GIEC anticipe une augmentation des phénomènes climatiques extrêmes tels que les vagues de chaleur, les fortes précipitations et les sécheresses, qui deviendront plus fréquents et plus intenses. L'agriculture sera particulièrement impactée, rendant incertaine la planification des cultures. Les années agricoles vont se suivre mais ne se ressembleront plus, alternant entre sécheresses et inondations.

En France, le souvenir des sécheresses de 2022 reste vif, marquées par un déficit de précipitations de 20 % entre septembre 2021 et avril 2022. La situation a été exacerbée par de fortes chaleurs qui ont augmenté l'évapotranspiration. En conséquence, les nappes phréatiques n'ont pas pu se recharger correctement, entraînant des restrictions d'irrigation pour les agriculteurs et des effets en cascade sur les productions. Des régions comme le Tarn ont subi des baisses de rendement significatives, avec des pertes pouvant dépasser 40 % selon les cultures (source : Préfecture de Tarn-Et-Garonne).

En 2023, l'Espagne a également expérimenté une sécheresse historique par son intensité et sa durée, asphyxiant 60 % des céréales non-irriguées (source : Terre-net). La même année, en France, des régions telles que les Hauts-de-France ont été frappées par des précipitations incessantes, rendant les champs inaccessibles. Cela a perturbé les récoltes (betteraves, pommes de terre, maïs, etc.) et retardé les semis. Les agriculteurs ont dû s'adapter et modifier leur assolement au pied levé.

Evolution du niveau des nappes phréatiques 2022-2023 - Source : BRGM
Evolution du niveau des nappes phréatiques 2022-2023 - Source : BRGM

Une nappe phréatique est une réserve souterraine d'eau située au-dessus d'une couche de terre imperméable. Ces nappes jouent un rôle essentiel, notamment en été, en fournissant l'eau nécessaire à de nombreux usages, alimentant deux tiers de l'eau potable consommée en France, le derniers tiers provenant des eaux de surfaces (rivières, fleuves, lacs…).

Le processus de recharge des nappes est principalement assuré par l'eau de pluie, qui s'infiltre grâce à la gravité. Cependant, pour que cette infiltration soit efficace, il est crucial que les précipitations ne soient pas diluviennes, car dans cette situation, sur des sols secs, l'eau ruisselle au lieu de s’infiltrer en profondeur.

Les mois d'hiver et le début du printemps sont donc cruciaux pour la recharge des nappes, car par la suite, les racines des plantes commencent à capter l'eau de pluie, réduisant ainsi son infiltration vers les nappes.

Il est important de noter que les caractéristiques des nappes phréatiques varient considérablement d'une région à l'autre en France, la vitesse de leur recharge en eau dépend de leur profondeur mais aussi de la géologie des sols. L'eau de pluie peut mettre de quelques jours à plusieurs mois, voire des années, pour atteindre une nappe, selon la perméabilité du milieu environnant. En Champagne crayeuse la vitesse d’infiltration est de l’ordre du mètre par an, alors qu’elle est de l’ordre du mètre par mois à travers le calcaire de la Beauce.

Nous évoluons dans un contexte où les périodes de sécheresse et les précipitations orageuses sont en augmentation, et où l'artificialisation des sols se poursuit, avec 25 000 hectares supplémentaires imperméabilisés chaque année entre 2010 et 2021, selon l'Observatoire national de l'artificialisation. Cette situation représente un défi majeur pour la recharge des nappes phréatiques. L'agriculture, qui occupe encore près de 50% du territoire français, place les agriculteurs en première ligne pour développer des solutions alternatives qui répondent aux défis posés par les changements climatiques et l'expansion urbaine. Parmi elles, le choix variétal de cultures moins gourmandes, l’adoption de pratiques améliorant la réserve utile en eau des sols ou encore l’optimisation des techniques d’irrigation.

II. Gestion de l’eau : solutions basées sur l’agriculture régénératrice

Face aux défis actuels, l'agriculture dispose de nombreux leviers d'adaptation qui doivent être ajustés en fonction du terroir et des pratiques locales. Ces leviers incluent des principes clés de l'agriculture régénérative, tels que la diversification des cultures avec des variétés moins gourmandes en eau, l'amélioration de la couverture des sols, la simplification du travail du sol, et l'enrichissement des terres en matière organique. Ces approches visent à optimiser les ressources et à promouvoir une gestion durable des terres agricoles.

Pour élaborer des solutions efficaces, il est essentiel de comprendre le cycle de l'eau à l’échelle des parcelles agricoles.

Cycle de l’eau à l’échelle du sol - Source : INRAE
Cycle de l’eau à l’échelle du sol - Source : INRAE

Les sols, qui remplissent des fonctions cruciales telles que le stockage de carbone, la préservation de la biodiversité, et la fourniture de nutriments, jouent également un rôle fondamental dans le cycle de l'eau. En effet, ils agissent comme un filtre et un réservoir.

Au sein de ce cycle, le sol assure deux fonctions principales. Premièrement, il sépare l'eau issue des précipitations ou de l'irrigation en deux flux : l'écoulement en surface et l'infiltration en profondeur. Cette gestion aide à réguler le transfert d'eau entre l'atmosphère, les nappes phréatiques et les cours d'eau. De plus, grâce à sa capacité de rétention, le sol sert de réservoir vital pour les plantes. Cette capacité, appelée réserve utile (RU), est influencée par le volume racinaire des cultures et la texture du sol, pouvant varier significativement en fonction de ces facteurs. Par exemple, les sols argilo-limoneux peuvent offrir une RU jusqu'à deux fois supérieure à celle des sols sableux, allant de 0,9 à 2 mm/cm de sol (selon un article de Triple Performance).

a) Les choix variétaux des cultures

Le répertoire des variétés agricoles évolue pour répondre aux nouvelles contraintes du changement climatique. Au-delà de la simple résistance à la sécheresse, c'est la résilience globale des plantes qui est recherchée pour maintenir la stabilité de la production malgré des conditions climatiques fluctuantes. Les cultures doivent désormais résister à des stress variés, allant des pluies torrentielles aux périodes de sécheresse prolongées.

Cependant, il est très difficile de trouver une variété qui cumule toutes les qualités souhaitées. En effet, il faut à la fois présenter une certaine résistance aux maladies, aux variations de température et aux conditions de stress hydrique et d’humidité importante. Il devient donc crucial de diversifier les variétés et les espèces cultivées dès maintenant pour préparer l'avenir.

Le tournesol et le sorgho commencent à se propager vers le nord, profitant des températures autrefois trop basses pour un cycle complet de croissance. Ces cultures moins exigeantes en eau, permettent de diversifier les rotations culturales. Toutefois, le tournesol rencontre des défis, notamment la prédation par les oiseaux et les rongeurs, qui affectent son rendement et sa rentabilité.

Le sorgho, connu pour sa robustesse face aux sécheresses, est utilisé tant dans l'alimentation humaine sans gluten que pour nourrir les animaux. Cette culture est souvent envisagée comme une alternative au maïs, notamment parce que, en situation de stress hydrique sévère, le sorgho peut produire jusqu'à trois fois plus que le maïs. Cependant, lors d'années sans stress hydrique, le maïs présente un potentiel de rendement nettement supérieur. Avec le changement climatique, les conditions météorologiques varient considérablement d'une année à l'autre, rendant difficile pour les agriculteurs de prévoir si la saison de croissance sera humide ou sèche.

Le pois chiche, une culture de transition, peut pousser sans irrigation ni apport d’engrais azoté grâce à sa capacité à fixer l'azote atmosphérique. Semé entre février et mars et récolté à la fin de juillet ou début août, il bénéficie pleinement des précipitations printanières. Cependant, la compétition mondiale et les limites de la demande commerciale pour les pois chiches français posent des défis à leur rentabilité.

L'introduction de nouvelles cultures nécessite des structures de soutien complètes, y compris des filières de collecte, transformation et commercialisation. Ce processus, soutenu par des initiatives régionales et étatiques telles que les territoires d'innovation et les plans alimentaires territoriaux, est essentiel pour la réussite de telles entreprises.

Enfin, la nature du sol est une contrainte souvent négligée. Dans des parcelles où le sol est superficiel et caillouteux à la RU très faible, la culture sans irrigation devient de plus en plus difficile. Alors que le changement climatique pourrait permettre la diversification des espèces cultivables dans les sols profonds, il pourrait réduire cette diversité dans les sols superficiels, sauf si des mesures comme l'irrigation sont mises en place pour assurer une croissance minimale durant les périodes de sécheresse.

b) Les couverts végétaux

Des études ont montré que le mulch, constitué de résidus de culture ou de couverts végétaux détruits recouvrant le sol, peut significativement réduire l'évapotranspiration et ainsi préserver la réserve utile du sol. En effet, un mulch de 3 tonnes de matière sèche par hectare (t MS/ha) peut réduire l'évaporation du sol de 15%, et jusqu'à 30% pour un mulch de 8 t MS/ha. Dans la pratique, rare sont les couverts intermédiaires allant jusqu’à 8 t MS/ha, lorsqu’il sont bien développés avec une biomasse dense allant jusqu’au dessus du genou, cela correspond plutôt à environ 3 t MS/ha.

La gestion du couvert végétal doit considérer le volume d'eau et de minéraux disponibles dans le sol. Bien que le couvert végétal limite l’évapotranspiration du sol, il y absorbe aussi des éléments nutritifs ainsi que de l’eau, il est donc crucial de le détruire suffisamment tôt pour éviter d'épuiser ces ressources avant le semis de la culture suivante. En ce qui concerne la ressource en eau, le couvert peut être détruit tardivement dans le cas d’une petite réserve utile (RU) au temps de recharge court.

Au-delà de ces impacts, cette pratique améliore également l'infiltration de l'eau en profondeur et diminue le ruissellement. Avec seulement 2 t MS/ha, l'infiltration est doublée par rapport à un sol nu, favorisant ainsi la recharge des nappes phréatiques et réduisant le ruissellement de 60%, ce qui contribue à limiter l'érosion des sols. Cela atténue également l'effet "splash", un phénomène où les gouttes de pluie impactant le sol désagrègent les mottes et projettent des particules, qui peuvent obstruer les pores du sol et réduire sa capacité d'infiltration, on dit alors qu’il y a la formation d’une croûte de battance (source : chambre d’agriculture).

Le choix du type de couvert végétal est crucial. Il est recommandé d'utiliser un mélange composé d'une céréale, pour maintenir la surface du sol humide grâce aux résidus pailleux ; d'une légumineuse, pour enrichir le sol en azote et réduire le rapport carbone/azote ; et d'une plante à racine pivot, comme les crucifères, pour améliorer la structure du sol.

Les recherches de l'INRAE ont confirmé ces bénéfices, indiquant que la couverture des sols agricoles, associée à une réduction du travail du sol, peut augmenter la réserve utile d'eau de 10 à 15 % par rapport à un sol labouré régulièrement.

Bien que de plus en plus adoptée par les agriculteurs, l'intégration de cette pratique représente un coût initial pour eux. Outre l'investissement nécessaire pour l'achat de nouvelles semences, ils doivent aussi veiller à une destruction adéquate de ces couverts pour ne pas perturber le lit de semence de la culture suivante, le semis restant une étape critique de l'agriculture.

c) Le travail du sol

Le travail du sol joue un rôle crucial dans l’infiltration de l’eau et l’évaporation. Si les agrégats de terre sont trop grossiers, cela peut limiter le transport capillaire de l’eau et favoriser une évaporation accrue. Les mottes de terre grossières créent des espaces où les courants d’air circulent librement, augmentant la surface de contact avec l’air et conduisant à un dessèchement plus rapide du sol.

Dans le cadre de l’agriculture de conservation des sols (ACS), les techniques employées influencent directement la rétention et la circulation de l'eau dans le sol. Des études sur la conductivité hydraulique et la taille du réservoir utile (RU) ont été menées à différentes profondeurs (0 à 50 cm) sur plusieurs types de sols dans le sud-ouest de la France et à divers moments.

Les résultats montrent que la conductivité hydraulique, phénomène de transfert d’eau de proche en proche dans la matière, est en moyenne 1,5 à 3 fois plus élevée en ACS (100 à 160 mm/h) que lorsqu’il y a labour (50 à 70 mm/h), bien que cela varie selon le type de sol. Concernant la taille du réservoir utile, aucune modification majeure n’a été observée; c’est plutôt dans la valorisation de ce réservoir que l’efficience est améliorée, dans le cas de l’ ACS. En effet, un enracinement plus profond sous ACS permet une meilleure exploitation du réservoir d’eau. Ainsi, les améliorations liées à l’ACS semblent principalement dues à une utilisation plus efficace du réservoir utile plutôt qu’à une augmentation de sa capacité totale (source : Université de Toulouse).

d) La fertilité du sol

La fertilité d'un sol est directement liée à sa capacité à favoriser l'infiltration de l'eau en profondeur et à augmenter sa réserve utile. Un élément clé de cette fertilité est le complexe argilo-humique, une structure composée d'argile et d'humus, ce dernier représentant la fraction stable de la matière organique du sol. Ce complexe permet la cohésion du sol et une meilleure résistance au tassement et à l’érosion. Pour l’améliorer, les agriculteurs peuvent augmenter la quantité d'humus en laissant davantage de résidus de cultures sur leurs champs ou en ajoutant des amendements organiques.

Le complexe argilo-humique possède une charge atomique négative, ce qui lui permet de retenir les éléments nutritifs essentiels aux plantes tels que le Ca2+, le Mg2+, le K+, le Na+, etc., qui ont eux une charge positive, ce processus fonctionne de manière similaire à celle des aimants. En raison de sa structure, le complexe argilo-humique permet la formation de micro-cavités dans le sol, ce qui contribue à la bonne porosité de celui-ci, favorisant ainsi l'infiltration de l’eau. Ainsi, plus le complexe est renforcé, plus la réserve utile augmente. L’eau qui s’infiltre dans ces cavités, également appelée "solution du sol", se charge des différents éléments nutritifs retenus par le complexe, les rendant ainsi disponibles en solution pour être absorbés par les racines des cultures. (source : Université de Picardie).

III. Gestion de l’eau : optimiser l’irrigation

Avec le réchauffement climatique, l'évapo-transpiration des cultures s'intensifie, accentuant ainsi le besoin d'irrigation, y compris dans les régions tempérées qui dépendaient jusqu'alors principalement des précipitations naturelles.

L'irrigation présente deux défis majeurs : la gestion de l'impact environnemental des infrastructures nécessaires et l'efficacité de l'utilisation des volumes d'eau.

Répartition des prélèvements d’eau pour l’irrigation en France - Source : OFB
Répartition des prélèvements d’eau pour l’irrigation en France - Source : OFB

a) Maximiser l’efficience de l’irrigation

Les possibilités de réduire la consommation d'eau sont significatives au niveau de chaque parcelle agricole. Actuellement, environ 80 % des systèmes d'irrigation utilisent des méthodes d'aspersion. Il existe des alternatives plus efficaces, telles que des équipements munis de contrôleurs électroniques ou des systèmes d'irrigation localisée. Passer d’une installation en aspersion au goutte-à-goutte permet une économie d’eau pouvant aller jusqu’à 30%. Bien que l'irrigation goutte à goutte soit bien adaptée aux exploitations maraîchères, horticoles ou arboricoles, son adoption dans les grandes cultures reste très limitée. Les freins ne sont pas seulement logistique, mais aussi économique, son installation est coûteuse et exigeante en termes de main-d'œuvre (source : INRAE).

L'efficacité de l'irrigation peut également être considérablement améliorée grâce à l'adoption d'outils d'aide à la décision. De manière concrète, des entreprises comme Sencrop et Weenat proposent des systèmes pour ajuster l'apport en eau en fonction des besoins réels des plantes et des conditions du sol, s'appuyant sur des données recueillies par des capteurs terrestres et des technologies de télédétection pour optimiser les moments et les quantités d'eau distribuée.

b) L’impact environnemental des retenues d’eau

L'étude des effets des retenues d'eau est complexifiée par leur grande variété, incluant divers usages, modes d'alimentation et de restitution de l'eau, emplacements dans le bassin versant, connexions aux cours d'eau, ainsi que par leurs tailles et formes variées.

Une étude collective réalisée par l'INRAE a examiné l'impact cumulatif de ces retenues sur les écosystèmes aquatiques. Les résultats montrent que les retenues modifient systématiquement le régime hydrologique des bassins versants, réduisant les débits, particulièrement lors des périodes de sécheresse, et accumulent les sédiments, provoquant des modifications du lit des rivières. Or, plus un niveau d’eau est bas ou plus l’eau est immobile, plus le réchauffement des eaux est rapide, ce qui favorise l'eutrophisation, phénomène caractérisé par la prolifération d’algues et un appauvrissement en oxygène. Les retenues perturbent également les communautés aquatiques, modifiant leurs conditions de vie et pouvant réduire la continuité écologique des milieux. Les effets spécifiques varient en fonction des caractéristiques de chaque retenue et sont particulièrement difficiles à mesurer lorsque plusieurs structures sont présentes dans un même bassin.

Les différents types de réserves d’eau
Les différents types de réserves d’eau

c) Le cas des réserves de substitution

Ces réservoirs, aussi appelé “méga-bassines” par certains médias, sont remplis durant l'hiver en pompant l'eau des nappes phréatiques ou des cours d’eau. L'eau stockée est ensuite utilisée pendant l'été, réduisant ainsi la nécessité de prélèvements directs dans les milieux aquatiques durant les périodes de sécheresse estivale. Toutefois, plusieurs chercheurs, dont la directrice de l’hydrométéorologie du CNRS, ont relevé des contraintes liées à ces installations. La recharge des réserves dépend de la capacité des nappes à se recharger elles-mêmes, ce qui varie d'une année à l'autre et ne peut être garanti. En cas de sécheresses prolongées sur plusieurs années, similaire à celles observées sur le continent américain, il serait impossible de les recharger. En outre, une eau extraite des nappes et stockée dans des réservoirs à ciel ouvert est sujette à des pertes en quantité et en qualité. Avec l'augmentation de la température, cette eau stagnante risque de devenir un milieu propice au développement d'algues et de bactéries, et, selon le président du Syndicat Mixte du bassin du Lay, il y aurait également un risque d'évaporation plus important, pouvant aller jusqu’à 30% de perte selon les conditions climatiques et la configuration du plan d’eau.

La préoccupation principale exprimée est que ces installations puissent inciter à une augmentation de l'irrigation plutôt qu'à une amélioration de son efficacité, alors que l'objectif semble être d'augmenter le ratio suivant  : unité de matière agricole produite / unité de volume d’eau utilisé.

A date, la France compte près de 130 réserves de substitution et plusieurs centaines sont actuellement en projet. En janvier 2024, Marc Fesneau, ministre de l’agriculture, a renouvelé son engagement en faveur de ces installations en annonçant la mobilisation d’un fonds de 20 millions d’euros destiné à améliorer le stockage de l'eau et l'efficacité de l'irrigation. Toujours dans l’optique d’accélérer le développement de ces réservoirs de substitution, le gouvernement projette également de simplifier les procédures et de réduire les délais des recours contre les projets de stockage d'eau.

Fonctionnement d'une réserve de substitution - Source : Ouest France
Fonctionnement d'une réserve de substitution - Source : Ouest France

Conclusion

Nous constatons déjà les effets du changement climatique, et l'agriculture, fortement dépendante de conditions climatiques stables, est particulièrement vulnérable. L'agriculture de demain sera une agriculture de gestion des risques, il s’agira de s'adapter continuellement aux variations climatiques pour rester viable. Face à des défis comme les sécheresses prolongées, les précipitations excessives, les vents forts ou encore les grêlons, qui deviendront de plus en plus fréquents, la stratégie de réponse doit être diversifiée.

Pour renforcer la résilience, il est crucial d'adopter des solutions agronomiques telles que la diversification des cultures, l'utilisation de couverts végétaux, la réduction du travail du sol et l'encouragement à la biodiversité du sol. Si ces méthodes s'avèrent insuffisantes pour maintenir les rendements, l'irrigation peut se présenter comme solution complémentaire, d’autant plus que de nouvelles techniques de pilotage se développent pour en optimiser l’usage.

En août 2023, le gouvernement a publié un décret pour encourager la réutilisation des eaux usées traitées (REUT), ouvrant de nouvelles perspectives dans l'optimisation de l'utilisation de l'eau. Ce décret promeut la REUT directe, qui consiste à réutiliser les eaux usées traitées immédiatement après leur traitement en les réinjectant dans des réseaux d'irrigation, sans les rejeter dans les cours d'eau. Actuellement, la REUT directe ne concerne que 1 % des eaux usées en France, comparativement à 8 % en Italie et 14 % en Espagne. En Israël, cette pratique est particulièrement avancée avec 90 % des eaux traitées réutilisées directement. Les principales sources pour la REUT incluent les eaux issues des stations d'épuration des eaux usées domestiques, les eaux pluviales urbaines et les eaux résiduaires industrielles.

Bien que certaines solutions soient déjà en place, il est essentiel de continuer à les développer pour améliorer leur efficacité. De nombreux agriculteurs sont prêts à changer leurs pratiques. Cependant, des obstacles demeurent, notamment les coûts en temps et en argent, le manque de marchés pour certaines des cultures de diversification, le risque de baisse des rendements dû au temps d’adaptation à de nouvelles techniques, ainsi que le besoin accru d'expérimentation et de partage d'expériences sur le terrain.

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