Agriculture BIO : comment s'insère la BIO dans le paysage agricole français depuis 15 ans ?

14 juin 2024

par
Yohann

A quoi correspond l’agriculture biologique ? Sémantiquement, le terme biologique fait référence aux organismes vivants, du règne animal ou végétal. Dans les pays Anglo-Saxon, l’agriculture biologique s’appelle « organic farming », faisant ainsi référence à tout ce qui est organique et, de fait, au monde vivant qui se caractérise par sa composition en chaines carbonés. Ce terme « biologique » a été approprié pour devenir un label découlant d'un cahier des charges strict et clair sur les modes de production des productions végétales et animales. L’agriculture biologique (AB), appelé la BIO par les personnes travaillant au sein de ses filières, est définie par l’INAO comme « un mode de production qui allie les pratiques environnementales optimales, le respect de la biodiversité, la préservation des ressources naturelles et l’assurance d’un niveau élevé de bien-être animal. » Plus globalement, le principe général de l’agriculture biologique est d’interdire le recourt aux intrants de synthèse.

L’Agriculture Biologique, un contexte réglementaire hiérarchisé et complexe

D’un point de vue réglementaire, l’AB s’est développé dans le monde entier avec des règles plus ou moins fluctuantes d’un pays à l’autre. Dans l’Union Européenne, deux règlements européens régissent l’AB au sein de l’espace communautaire : l’un précise l’ensemble des règles à suivre concernant la production, la transformation, la distribution, l’importation, le contrôle et l’étiquetage des produits biologiques tandis que l’autre liste les substances (pesticides, fertilisants, additif…) autorisées en AB.

Les règles européennes en matière d’agriculture biologique peuvent rester très générales et sujettes à plusieurs interprétations dans la pratique. De ce fait, l’INAO (Institut NAtionale de l’Origine et de la qualité) rédige et publie un guide de lecture pour clarifier et préciser les différentes règles permettant d’appliquer le règlement européen. L’interprétation des règlements européens a lieu au sein du CNAB (Comité National de l’Agriculture Biologique) de l’INAO, rassemblant les principaux acteurs des filières agricoles biologiques.

Comment s’y retrouver dans les rayons des magasins ?

La différenciation en tant qu’agriculture biologique est visible selon deux logos.

Logo Européen (gauche) et logo français historique (droite) de l'agriculture biologique

Le logo bio européen (logo de gauche) est obligatoire depuis le 1er juillet 2010 sur tous les produits biologiques alimentaires pré-emballés vendus comme tels dans l’Union européenne. Il ne garantit néanmoins pas l’origine européenne des produits mais bien que le produit soit issu de l’agriculture biologique en Europe et/ou dans le monde.

Le logo national AB (logo de droite) existe depuis 1985 et appartient au ministère chargé de l’agriculture. Il bénéficie d’une forte notoriété en France mais son utilisation est toutefois facultative sur les produits. Depuis la gestion communautaire de l’agriculture biologique, le logo AB est une marque collective française géré par l’Agence Bio dont l’INAO assure la protection. Ce logo ne préjuge pas de l'origine française des matières premières et doit respecter la réglementation européenne en matière de règles pour l’agriculture biologique.

Il existe d’autre labellisations additionnelles à l’agriculture biologique pour se démarquer et proposer des produits respectant un cahier des charges plus restrictif. Ces labels tels que Bio cohérence (Bio 100% Français), Demeter (Biodynamie) ou encore BIO partenaire entrent dans un cadre privé et s’additionnent au cahier des charges BIO.

La suite de cet article se concentre ainsi sur l’agriculture biologique au sens officiel du terme, c’est-à-dire au sens de la réglementation européenne et de son interprétation via la guide de lecture de l’INAO pour son application française.

Un développement de l’agriculture biologique spécialisé et hétérogène selon les régions

En France en 2021, 10,3% de la surface agricole utile était labellisée en Bio représentant ainsi 2,78Mha. L'AB a connu une très forte croissance jusqu’à l’inflation de 2022, en multipliant par 3 sa surface totale entre 2010 et 2022.

Cartes des surfaces totales en BIO (en haut), en grandes cultures (en bas à gauche) et des cultures fourragères (en bas à droite) en France par département (source : Agence Bio)

Le Bio s’est particulièrement développé dans le Sud de la France avec plus de 20% de la surface agricole utile dédiée.  En termes de surface, le Gers est le premier département de France avec 123 000 hectares (ha), suivi de la Loire Atlantique et ses 89 000 hectares. Ces deux départements n’accueils néanmoins pas les mêmes productions.

En grandes cultures (céréales, oléagineux et protéagineux), le Gers est en tête d’affiche avec 76 500ha contre 17 000ha pour la Loire Atlantique. Cela s’explique par une spécialisation des régions selon les types de production. Le Sud-Ouest de la France et la Bourgogne ont davantage développé la céréaliculture compte tenu d’un terroir plus adéquat pour sa culture.

A contrario, la Loire Atlantique est davantage favorable naturellement aux cultures fourragères comme l’indique la carte ci-dessus par rapport au Gers. Ces cultures traduisent une forte implantation de l'élevage de bovins bio en Pays de la Loire, Bretagne et Basse Normandie. Cette spécialisation se rapproche ainsi de ce qui est constaté en conventionnel. Les zones de moyenne montagne telle que l’Aveyron et les Alpes de Haute Provence présentent également un fort développement de cultures fourragères où les élevages de ruminants présentent davantage d’ovins et de caprins que dans le quart Nord Ouest de la France.

Le pourtour méditerranéen concerne principalement la culture en BIO de la vigne et l’arboriculture. Ce dernier présente d’ailleurs la plus forte croissance de la sa part en BIO alors que les surfaces totales exploitées (Bio et conventionnel) ont fortement chuté ces dernières années en particulier pour les pommes, les poires, les abricots et les pêches.

Graphique présentant la par du BIO sur les surfaces totales par type de culture (source: Agreste)

En 2019, la part des surfaces en fruits cultivés en agriculture biologique représentait 26% de la surface totale de cette culture contre 8% en moyenne toute culture confondue et 5% en grandes cultures.

Pourquoi la part des surfaces en grandes cultures bio est elle la plus faible de toutes les espèces cultivées ?

En France, la majorité des surfaces de grandes cultures se situe en Ile de France, dans les Hauts de France, en région Centre et en Champagne. Pour autant, la plus grande part des cultures céréalières BIO est localisée dans le Sud-Ouest, la Bourgogne et les Pays de la Loire.

Au-delà des convictions environnementales, ce phénomène peut s’expliquer par l’écart de rendement entre l’agriculture biologique et le conventionnel moins importante dans le Sud-Ouest et en Bourgogne qu’ailleurs en France, conjugué à un écart de prix en faveur du BIO plutôt homogène entre régions françaises

En effet, la conversion à l’AB permet historiquement d’accéder à des prix plus rémunérateurs. Jusqu’à l’invasion de la Russie en Ukraine, le prix du blé bio était nettement supérieur à celui du conventionnel. Le premier oscillait entre 400 et 550€ par tonne entre 2008 et 2022 tandis que le second se situait dans la tranche 135-265€ par tonne. Le choix économique de s’orienter vers l’agriculture biologique était pleinement favorisé. Néanmoins, cet écart s’est considérablement réduit depuis 2022. D’un côté, l’inflation a stoppé la croissance de la consommation BIO alors que la hausse de la production se poursuivait, entrainant de fait une chute du prix du blé AB. D’un autre côté, l’entrée en conflit de la zone mer Noire (30% des exportations mondiales de blé) a entrainé une forte hausse des prix du conventionnel. Actuellement, le prix du blé tendre bio est descendu à 300-350€ par tonne tandis que celui conventionnel s’élève à environ 250€ par tonne.

L’exemple du blé tendre est le plus représentatif étant donné que cette céréale représente à elle seule plus de 30% de la production céréalière totale en BIO. Les rendements moyens dans le Gers et en Haute-Garonne en conventionnel varient entre 45 et 55 qx/ha en moyenne selon les années tandis que les rendements moyens dans la Somme, la Marne ou encore le Pas de Calais se situe aux alentours de 90qx/ha. Dans l’Yonne, le rendement moyen se situe autour de 55qx/ha. Cette différence de potentiel de rendement est frappante entre le Nord-Loire et le Sud-Loire comme le montre la carte ci-dessous.

Carte des rendements moyens en blé tendre Conventionnel et BIO en 2023 (source : Agreste)

Cependant le rendement moyen en blé tendre BIO se situe autour de 30qx/ha en moyenne nationale. Dans la moitié Nord de la France, les rendements peuvent difficilement dépasser les les 35qx/ha en dehors d’un blé cultivé après une luzerne. Le principal frein à la croissance des rendements en BIO concerne l’apport d’azote, élément indispensable à la croissance des rendements. La luzerne permet de fixer naturellement l’azote de l’air en grande quantité pour la restituer aux cultures suivantes. Le blé tendre suivant une luzerne permet ainsi d’atteindre 40 à plus de 50qx/ha au Nord de la Loire. C’est la raison pour laquelle cette culture connait un fort développement en BIO et constitue un élément essentiel de ces systèmes de culture. Néanmoins, elle reste en place 2 ans au minimum et la parcelle en question ne dégage de fait pas ou peu de production alimentaire pendant cette période.

Dans la moitié Nord de la France, le second facteur limitant des rendements concerne les maladies en particulier en Bretagne, en Normandie et les départements côtiers des Hauts de France, l’agriculture biologique ne permettant pas d’interventions phytosanitaires. Les rendements sont ainsi davantage impactés par les maladies fongiques dans ces régions. En effet, l’humidité et les températures douces favorisent le développement de ces micro-organismes.

L’écart de rendements entre agriculture biologique et conventionnel est la plus forte pour le blé tendre avec une baisse affichée par l’Agreste de 57% en 2022 comme le montre le graphique ci-dessous.

Graphique présentant les écarts de rendement entre le bio et le conventionnel pour la récolte 2022 (Source: Agreste)

Néanmoins, les autres cultures présentent un écart moins important. Le tournesol et le soja affichent les rendements les moins impactés par le passage en BIO du fait de leur faible consommation en éléments nutritifs, en particulier en azote.

L’agriculture biologique, pratiques les plus radicales pour baisser les émissions de Gaz à Effet de Serre (GES)

Comme nous l’avons évoqué précédemment, le principe de l’agriculture biologique est l’absence d’utilisation d’intrants de synthèse dont les engrais azotés minéraux, principales sources de GES en grandes cultures avec la production de protoxyde d’azote (N20).

Le passage en AB permet ainsi de réduire drastiquement les émissions de GES des cultures qui se limitent à celles de engrais organiques et du carburant pour les tracteurs. Les émissions à la surface cultivée sont nettement inférieures au conventionnel tandis que les émissions à la tonne produite sont très variables. Elles peuvent varier du simple (exemple du blé tendre : 300keqCO2/t) ou double (exemple du blé tendre : 710keqCO2/t) selon Agribalyse et présenter un facteur d’émission (=empreinte carbone d’un produit) nettement inférieur ou nettement supérieur au conventionnel (exemple du blé tendre conventionnel : 444keqCO2/t).

En revanche, le stockage de carbone dans les sols se retrouve réduit en AB par rapport au conventionnel. En effet, le stockage de carbone dans les sols dépend de la quantité d’apports de résidus végétaux au sol. Cette restitution, qu’elle provienne des cultures principales (ex : pailles de céréales) ou intermédiaires (couverts végétaux), est plus importante en conventionnel du fait d’une production de biomasse plus importante liée aux apports azotés de synthèse principalement. De plus, le stockage de carbone dans le sol s’opère via la matière organique du sol. Cet humus mobilise non seulement du carbone pour sa formation mais aussi des éléments minéraux. De fait, le stockage de carbone dans les sols est indissociable de la consommation d’azote, de phosphore et de soufre. En moyenne, l’humus du sol se compose de 50% de carbone, 40% d’oxygène, 5% d’hydrogène, 4% d’azote, 1% d’autres éléments (phosphore, potassium, soufre …).

L’azote étant bien plus limité en AB qu’en conventionnel du fait de l’absence d’apports synthétiques, la formation d’humus, et de fait la hausse du stock de carbone, entre davantage en concurrence avec la consommation azotée des cultures de rente. Par conséquent, le stockage de carbone constitue l’axe de travail principal pour réduire l’impact carbone des activités agricoles pour les exploitations agricoles déjà en BIO.

Quelles solutions pour stocker du carbone dans les sols agricoles en AB ?

Pour favoriser le stockage de carbone en AB, il faut augmenter autant que possible les surfaces en légumineuses, tant en culture principale qu’en interculture, pour ne pas créer de « faim d’azote » pour les cultures de rente. Une des pratiques courantes en AB est d’implanter une légumineuse fourragère pendant le cycle de culture du blé tendre. Ce groupe de légumineuses rassemble les espèces qui ont la plus forte capacité à fixer l’azote de l’air. Semer une légumineuse fourragère (Trèfle, luzerne, sainfoin, lotier …) dans une culture céréalière lui permet d’allonger son cycle de développement et de fait de maximiser sa production d’azote. C’est une des pratiques dont ReSoil fait la promotion pour favoriser à la fois la production en AB et le stockage de carbone dans les sols.