25 mai 2024
Dans le monde de la compensation carbone volontaire, le terme d’offsetting est beaucoup plus répandu que celui d’insetting. Toutefois, depuis quelques années la notion d’insetting gagne en popularité dans le monde de l’entreprise certains acteurs mettant en avant le fait que cela réduit le risque de greenwashing, ou écoblanchiment.
Mais alors à quoi correspond l’insetting ? Quelles différences avec l’offsetting ?
Les termes "insetting" et "offsetting" désignent tous deux des méthodes de compensation carbone volontaire, mais leur fonctionnement diffère notamment à propos de la présence ou non des projets de compensation carbone dans la chaîne de valeur de l’entreprise.
L’offsetting consiste à compenser les émissions de dioxyde de carbone (CO2) d’une entreprise en finançant des projets externes de réduction d’émissions ou de stockage de carbone sans lien direct avec ses propres opérations. Cela signifie que l’entreprise investit dans des initiatives situées en dehors de sa chaîne de valeur pour compenser son empreinte carbone.
Exemple : Une entreprise vendant des logiciels informatiques émet 10 000 tonnes de CO2 par an. Celle-ci pourrait financer un projet de reforestation en Amazonie. Bien que ce projet contribue à la réduction globale des émissions de CO2, il n'a pas de lien direct avec les opérations de l’entreprise
L’insetting en revanche, implique que l’entreprise investisse dans des projets de compensation carbone au sein même de sa chaîne de valeur. Cela signifie que l’entreprise travaille directement avec ses parties prenantes, telles que les employés, les clients, les fournisseurs, les sous-traitants, les investisseurs, et les ONG, pour atteindre la neutralité carbone. L’objectif est de créer un impact positif directement lié à ses activités et à son écosystème d'affaires. C’est pour cela que l’on parle de compensation carbone intégrée (i.e. dans la chaîne de valeurs de l’entreprise)
Exemple : Une entreprise agroalimentaire pourrait collaborer avec ses fournisseurs agricoles pour adopter des pratiques agricoles durables, réduisant ainsi les émissions de gaz à effet de serre liées à la production de ces matières premières agricoles, augmenter le stockage de carbone par les sols agricoles et améliorer la résilience climatique des cultures. En investissant dans des méthodes agricoles régénératives et en soutenant les agriculteurs locaux, l’entreprise réduit son empreinte carbone tout en renforçant sa chaîne d’approvisionnement.
Le terme « insetting » a réellement commencé à être utilisé en 2013, moment de la création de l’Internation Plaform for Insetting (IPI). Cette plateforme à but non-lucratif a pour objectif de rassembler toutes les organisations engagées sur la voie de la compensation carbone intégrée. Cette plateforme regroupe :
Le fonctionnement de l'insetting apparaît sur le papier assez simple. Premièrement, l'entreprise doit évaluer ses émissions de gaz à effet de serre (GES) sur l'ensemble de ses scope d'émissions. Une fois cette évaluation effectuée, l'entreprise peut sélectionner des projets de compensation carbone intégrée qui correspondent à ses besoins. Ces initiatives visent à réduire les émissions de GES de manière ciblée au sein de la chaîne de valeur de l'entreprise, englobant les émissions des scopes 1, 2 et 3.
Une fois qu'un projet d'insetting a été identifié, l'entreprise peut investir dans celui-ci. Cet investissement, généralement de nature financière, peut se matérialiser sous forme de dons à des associations de conservation de l’environnement mais aussi d'achat de crédits carbone (logique de "money for ton"). Par exemple, l'entreprise peut acheter des crédits carbone agricoles qui contribueront à réduire l'empreinte carbone de ses fournisseurs.
Ainsi, l’insetting peut être considéré comme une approche holistique qui permet d’intégrer le modèle écologique au modèle économique de l’entreprise en réduisant les émissions tout au long de la chaîne de valeur de l’entreprise. L’insetting doit permettre aux entreprises de réduire leur empreinte carbone de manière tangible en améliorant son image.
Au-delà de l’aspect compensation carbone l’insetting peut permettre à une entreprise de sécuriser ses approvisionnements en finançant spécifiquement des projets augmentant la résistance aux aléas climatiques des zones de production agricoles. Par conséquent les dépenses dans le cadre d'une stratégie d’insetting, peuvent être vues comme un investissement sur le moyen, long terme plutôt qu’un simple coût.
Pour résumer les 4 principaux avantages de l’insetting vs. l'offsetting sont :
Toutefois, la mise en place d'une stratégie d'insetting au sein d'une entreprise implique plusieurs pré-requis et défis
Tout d’abord l’entreprise doit avoir quantifié ses émissions des gaz à effet de serre prenant en compte l’ensemble des gaz à effet de serre produits dans le périmètre :
Pour estimer les émissions notamment amont liées à ses fournisseurs cela implique pour l’entreprise d’être capable de remonter sa chaîne de valeur et d’engager ses fournisseurs pour qu’ils transmettent leurs données. Ainsi, un des enjeux de l’insetting pour une entreprise est de maîtriser la traçabilité de ses productions
Selon la complexité des chaînes d’approvisionnement ce point sur la traçabilité peut être plus ou moins compliqué.
Empiriquement, la majorité des projets d’insetting se font en amont de la chaîne de valeur (appelé « scope 3 amont ») dans le secteur des terres (« Agriculture, Forestry and Other Land Use »). En moyenne, le scope 3 amont agricole représente ~70% des émissions de gaz à effet de serre pour les entreprises du secteur agroalimentaire.
Ainsi pour les entreprises de certains secteurs comme celui de la tech ou certaines industries lourdes il est complexe de faire de l’insetting en raison de l’absence de projets pertinents dans leur chaîne de valeur.
Pour une entreprise agroalimentaire l’identification de projets pertinents peut quand même s’avérer compliqué et repose encore une fois sur la traçabilité des matières premières.
Prenons l’exemple d’un acteur produisant des céréales avec du chocolat les principaux ingrédients sont :
La chaîne de valeur de la production de la farine de blé en France comprend :
Si l’entreprise agroalimentaire sait qui sont ses meuniers fournisseurs, la plupart du temps elle ne sait pas qui sont les principaux fournisseurs (organismes stockeurs) de ses meuniers.
Chaque matière première peut avoir une chaîne de valeur différente (par exemple incluant des négociants de matières premières pour le cacao), ainsi on comprend mieux pourquoi le sujet de la traçabilité de l’origine agricole peut être un point bloquant pour développer des projets d'insetting. C’est pour cette raison que des entreprises agroalimentaires font appel à des entreprises externes pour identifier les exploitations agricoles dans leur chaîne de valeur.
Par ailleurs, en plus d’identifier les projets pertinents dans sa chaîne de valeur l'entreprise doit ensuite être capable d'impliquer ses parties prenantes ce qui relève de la thématique de conduite du changement, qui n'est jamais simple.
Comme expliqué ci-dessus, l’insetting peut être une approche complexe. C'est aussi une approche nécessitant d'engager plus de frais au départ vs. l'offsetting.
Rappelons que l’insetting permet d’intégrer le modèle écologique au modèle économique de l’entreprise en réduisant les émissions tout au long de la chaîne de valeur de l’entreprise.
En général cela nécessite souvent des dépenses initiales plus élevées que pour l’offsetting ce qui peut décourager certaines entreprises. Toutefois, ces entreprises doivent voir ces dépenses comme des investissements, permettant par exemple de sécuriser les approvisionnements, d'améliorer la productivité ou de fidéliser et mobiliser ses parties prenantes, et non comme des simples coûts.
Comme pour l’offsetting, il existe un risque, quoique souvent moindre, que l’insetting soit utilisé comme une simple stratégie marketing sans engagement réel envers la durabilité. Pour cela les entreprises doivent veiller à choisir des projets crédibles et durables. Dans le cas d’un financement via l’achat de crédits carbone elles doivent s’assurer par exemple que les standards de certification et les projets vérifient les 5 règles suivantes : mesurabilité, vérifiabilité, additionnalité, permanence et unicité.
Qui plus est, il est essentiel de s'assurer que les projets d'insetting n'aient pas d'effet négatif sur l'environnement ou les populations locales.
Prenons un exemple : les projets de remplacement des fourneaux à charbon ou biomasse ("cookstoves") utilisés dans les pays en voie de développement pour la production de matières premières dans le secteur de cosmétique par des fourneaux électriques. Dans une étude réalisée au Kenya, il a été démontré que les habitants, au lieu de mettre au rebut leur ancien réchaud l’utilisait en parallèle du nouveau réchaud pour cuisiner plus rapidement (il s’agit d’un phénomène que l’on appelle « fuel stacking »). Cela remet en cause les réductions d'émissions liées au financement des nouveaux réchauds électriques. Si l'ensemble des habitants pratiquent le "fuel stacking". Au lieu de réduire les émissions ce financement peut à l'inverse augmenter les émissions de GES.
En résumé, l'offsetting et l'insetting sont deux méthodes distinctes pour gérer les émissions de carbone, mais elles diffèrent significativement dans leur mise en œuvre et leur impact. L'offsetting peut être un bon début pour les entreprises débutant dans la gestion du carbone, tandis que l'insetting représente une approche plus intégrée et durable, bénéfique pour les entreprises prêtes à s'engager plus profondément dans la réduction de leur empreinte carbone. Choisir entre ces stratégies dépendra des objectifs spécifiques de l'entreprise, de sa chaîne de valeur et de son engagement envers la durabilité.
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