Tout comprendre sur la différence entre quotas carbone, crédits carbone et certificats carbone

14 septembre 2023

par
Grégoire

Introduction

Depuis quelques années, plusieurs marchés se sont créés soit pour contraindre les entreprises à réduire leur émissions de gaz à effet de serre (GES) sous peine de sanctions financières, soit à l’inverse pour les inciter à financer la transition écologique via des projets qui permettent de réduire les émissions de gaz à effet de serre ou de séquestrer du carbone dans des puits de carbone. Derrière ces concepts se cachent 3 notions souvent employées à tort de façon indifférenciée : quotas carbone, crédits carbone ou certificat carbone. Décryptage ci-dessous 👇

1. Quota carbone : l'outil régulateur par excellence, une démarche obligatoire

Le quota carbone détermine la quantité maximale de dioxyde de carbone (CO2) qu'une industrie peut émettre sur une période donnée. Il s’agit d’une obligation légale qui s'dresse à certains secteurs d'activité, on parle donc de marché obligatoire du carbone.

Le rôle central du Système d’Echange de Quotas d’émissions (SEQE)

Le Système d’Echange de Quotas d’émissions (SEQE) - ou EU-ETS en anglais pour European Union Emissions Trading System - a été créé en 2005 à la suite des engagements pris par l’Union Européenne dans le protocole de Kyoto. C'est l'outil phare de l'Union Européenne pour limiter les émissions sur son territoire et atteindre ses objectifs de réduction d'émissions décrits dans son plan "Fit for 55", soit un objectif de réduction des émissions de GES de l'UE de 55% d'ici à 2030  par rapport à 1990. Il s'agit d'un système dit de "Cap and Trade". C'est à dire que, chaque année, il impose aux entreprises des secteurs concernés un plafond en tonnes de CO2 équivalent émises. Ce plafond est réduit annuellement (de 1,7% par an sur la période 2013-2020). Si une entreprise dépasse son plafond (ou quota carbone), elle est alors tenue d'acheter des quotas carbone à d'autres entreprises concernées par ce système qui n'ont pas utilisé tous leur quotas. Cet échange se fait sur le marché coté du SEQE. Si l'entreprise qui a dépassé son volume de quotas carbone alloué n'achète pas de quotas carbone supplémentaires pour compenser ce dépassement, elle est alors sanctionnée par une amende de plus de 100€ par tonne de CO2 émise n'ayant pas de quota attribué.

Les quotas carbone sont pour le moment attribués gratuitement aux entreprises, c'est pour cela que certaines personnes parlent de "droit à polluer". En référence aux quotas carbone, on parle du principe de "pollueur-payeur" car les entreprises ayant dépassé leur quotas doivent en acheter d'autres sur le marché ou payer l'amende pour chaque tonne de CO2 excédentaire.

Les secteurs concernés & les évolutions à venir

  • A date, le SEQE couvre les grandes installations industrielles des secteurs suivants ayant une puissance thermique installée >20 méga watt : la production d'électricité et de chaleur, les raffineries, l'aciérie et la métallurgie, la fabrication de ciment, le papier, l'aluminium, le verre et l'aviation. Ce secteur est le dernier à avoir été intégré en 2012 et concerne uniquement les vols entre les aéroports de l'Espace Economique Européen (EEE).
  • Au total, cela s'applique à 10 000 - 11 000 sites industriels dans l'Union Européenne, l'Islande, la Norvège et le Lichtenstein. Un peu plus de 1000 sites sont situés en France.
  • Un élargissement à de nouveaux secteurs est prévu. Le secteur du transport maritime va être intégré à ce marché obligatoire. Les secteurs des transports routiers et de la construction vont également être soumis à des quotas sur un système d’échange distinct mais fonctionnant de la même façon, à horizon 2027.

Image d'un porte-conteneurs déchargeant sa cargaison dans un port
Le secteur du transport maritime va être intégrés au SEQE

Quotas carbone en circulation et objectifs de réductions européens

En 2020, selon l’Agence européenne pour l’environnement, les émissions des installations du SEQE s'élevaient à environ 1,3 milliard de tonnes d'équivalent CO2, en baisse de 11.4% vs 2019, essentiellement lié à l’impact du Covid-19. L’objectif de réduction des émissions de ce marché, initialement fixé à 43% d'ici 2030 par rapport à 2005 (soit une diminution de près de 600 millions de tonnes de CO2 équivalent), a été réhaussé en 2022, sur proposition de la Commission Européenne : l’objectif est désormais de réduire les émissions des secteurs couverts par le SEQE de 61% d’ici 2030 (toujours par rapport à la référence de 2005). Pour y arriver, le Conseil européen s’accorde pour réduire le nombre de quota carbone en circulation de 117 millions (ce qu'on appelle le "rebasage") et d’augmenter le taux de réduction annuel de ces quotas à 4,2% par an.

Prix d'échanges des quotas carbone sur le SEQE

Le prix d'un quota carbone sur le marché européen obligatoire du carbone est une donnée publique, car les échanges sont enregistrés et effectués via des places de marché. Comme tout produit, son cours dépend de l'offre et de la demande. La réduction du nombre de quotas en circulation au cours des derniers mois a fortement poussé les prix à la hausse, les entreprises concernées n'ayant pas suffisamment réduit leurs émissions se trouvant obligées d'acheter le quota carbone d'une autre entreprise pour être en règle. Cela répond à l'objectif de l'Union Européenne, réduire les quotas pour en augmenter le prix de façon à inciter les entreprises à faire plus d'efforts pour atteindre l'objectif 2030 de réduction des émissions, sous peine de devoir payer le prix fort.

Cette corrélation entre objectif d'émissions et prix du quota carbone est extrêmement forte. En 2020, la crise Covid a naturellement réduit les émissions du fait du ralentissement - voire même de l'arrêt - de certaines activités. Le prix de la tonne de carbone est alors descendu à 15€ en mars 2020, avant de remonter et de dépasser la barre des 50€ en mai 2021 pour la première fois dans l'histoire du SEQE, puis d'atteindre 96€ en février 2022 avec la réduction annoncée du nombre de quotas en circulation. La guerre en Ukraine a entrainé une chute du cours, probablement liée à une anticipation d'une baisse de la production et donc des émissions, pour retomber à 58€ en mars 2022. Dès le mois de mai 2022, le cours a retrouvé des niveaux compris entre 80€ et 90€ le quota carbone. Depuis le mois de février 2023, la tonne de carbone se négocie à plus de 100€ sur ce marché.

prix du carbone sur le SEQE
Evolution du prix de la tonne de carbone sur le marché européen (SEQE).
Source : Refinitiv, ICE Endex, BNP Paribas

2. Crédit Carbone : flécher les financements vers la transition écologique, une démarche volontaire

Définition et fonctionnement

Un crédit carbone correspond à une tonne de CO2 équivalent évitée ou retirée de l'atmosphère. L'achat de ces crédits par des entreprises, des collectivités ou des particuliers répond à une démarche purement volontaire. Contrairement aux quotas carbone, il n'existe pas, à date, d'obligation de contribuer à la neutralité planétaire via l'achat de crédits carbone. Il s'agit uniquement d'une incitation de l'Europe et de la France, dans le cadre des Accords de Paris et des objectifs nationaux et internationaux qui en découlent, pour atteindre la neutralité carbone.

Les crédits carbone financent des projets, alors que les quotas carbone ne sont qu'une sanction financière, ou une sorte de taxe sur les émissions qui dépassent un certains seuil. Pour certifier l'impact des projets financés par la génération de crédits carbone, des organismes nationaux ou internationaux développent des méthodes de calcul. La robustesse de la méthode de calcul - et donc la crédibilité du certificateur - est clé pour s’assurer de cet impact. Les certificateurs peuvent être privés, comme Verra ou Gold Standard, ou publics comme le Label bas-carbone en France.

Le Label bas-carbone a justement été créé en 2019 pour crédibiliser le marché de la contribution carbone (également appelé compensation carbone), et le rendre moins opaque pour les acteurs qui désirent contribuer à la neutralité en achetant des crédits carbone qui financent des projets avec un impact certain, sur le territoire français et sans greenwashing :

  • Tous les projets du Label bas-carbone sont situés en France, pour faciliter le suivi et l’audit de chaque projet
  • Les méthodes de calcul sont publiques et vérifiées par des collèges d’experts compétents dans le domaine concerné, et soumis à enquête publique
  • La revente des crédits carbone certifiés Label bas-carbone est interdite. Les Directions Régionales de l’Environnement, de l’Aménagement et du Logement tiennent un registre des transactions réalisées.

Diversité des projets

Des initiatives variées, telles que les énergies renouvelables, la reforestation, ou les technologies de capture et stockage du carbone, peuvent générer des crédits carbone.

Distinction entre crédit d’émission évitée et crédit de séquestration carbone

Si les deux notions peuvent permettre de générer un crédit carbone, il est important de distinguer les crédits de réduction d’émissions (exemple : les projets appelés “REDD+”, qui évitent une déforestation et donc un déstockage de carbone), des projets de séquestration carbone qui retirent du carbone de l’atmosphère et le stockent dans un puits (ex: la plantation d’une nouvelle forêt ou un projet agricole dans le cadre de mise en place de pratiques agricoles dites régénératrices qui intègre des couverts végétaux, ce qui augmente la photosynthèse et retire du carbone de l’atmosphère pour le stocker dans le sol).

Différencier ces types de crédits carbone est essentiel pour que l’action corresponde à l’objectif fixé.

Couvert végétal multi-espèces sur une parcelle agricole
Couvert végétal permettant d’augmenter la photosynthèse sur l’exploitation


Etat du marché et prix des crédits carbone

Le marché volontaire du carbone est en plein essor, avec 500 millions de crédits échangés en 2021. Toutefois, ce chiffre inclus les crédits éventuellement échangés plusieurs fois lorsque cela est possible (seul le Label bas-carbone l’interdit à date en permettant une unique transaction). Cet essor est notamment lié aux objectifs français et européens de neutralité carbone, qui passe d’abord par une réduction des émissions et ensuite par une augmentation des puits de carbone (crédits de séquestration) pour atteindre l’équilibre global entre émissions et séquestration de CO2, afin de stopper le réchauffement climatique.

Le prix des crédits carbone est donc également en augmentation forte. Contrairement au prix de la tonne de carbone sur le marché obligatoire du carbone (SEQE), son prix n'est pas public, il n'y a pas de place de marché. Il s'agit uniquement de contrats issus de négociation de gré à gré. Il existe toutefois de plus en plus d'études et de sondages pour connaitre les prix pratiqués par les acteurs de ce marché. Il en ressort que le prix des crédits dépend de plusieurs facteurs :

  • Le type de certificateur : les crédits certifiés par le Label-bas carbone sont en moyenne 8 fois plus cher que les crédits certifiés par Verra ou Gold Standard. Cela est lié à la confiance accordée à ce Label et à ses méthodes de calcul.
  • La typologie de projet : pour un agriculteur par exemple, mettre en place des pratiques qui séquestrent du carbone dans ses sols ou qui réduisent ses émissions a un cout certain (nouveaux outils agricoles, nouvelles semences, nouvelles cultures moins valorisables). Chez ReSoil, nos travaux de recherche concluent que ce coût est compris entre 60 et 140€ par hectare et par an. Le prix de vente du crédit carbone doit permettre aux agriculteurs de rentrer dans leurs coûts, sachant que nos projets agricoles génèrent en moyenne 1 à 2 crédits par hectare et par an sur la durée du projet (5 ans). Le prix est bien plus élevé encore pour des projets technologiques, car leur coût est énorme. Les projets de capture de carbone de l'air (DAC) coûtent par exemple entre 400 et 500€ par tonne séquestrée.
  • La localisation du projet : ces coûts de mise en place du projet seront très différents selon les régions du monde. Les projets réalisés dans des pays en développement seront souvent moins chers. La traçabilité plus importante des projets localisés dans des pays développés impacte également leur prix à la hausse.
  • Les co-bénéfices du projet : au delà de l'aspect carbone, certains projets présentent des co-bénéfices : préservation de la biodiversité, amélioration de la qualité de l'eau, amélioration de la qualité de l'air, diminution de l'érosion des sols, retombées économiques et sociales positives pour la population locale, etc. Plus il sont précis et importants, plus le projet a de l'impact, ce qui se répercute dans son prix.
  • Le nombre d'intermédiaires : plus il y a de parties prenantes entre le porteur de projet et l'acheteur final (conseil, marketplace de crédits carbone, brokers,...), plus il y a d'acteurs à rémunérer ce qui se reflète dans le prix final, sans pour autant augmenter l'impact climatique du projet.

Pour toutes ces raisons, le prix d'un crédit carbone peut varier de 3€ à plus de 500€. On observe toutefois une moyenne située entre 30 et 80€ par crédit carbone en France en 2023. Ce prix moyen est en hausse par rapport aux années précédentes à cause d'un dernier facteur prix plus classique : la hausse de la demande de la part des entreprises. Cette hausse de la demande concerne surtout les projets de qualité, traçables et avec de nombreux co-bénéfices.


3. Certificat Carbone : une preuve de réduction d’émissions

Qu'est-ce que c'est ?

Il s’agit d’un document attestant de la réduction d'émissions de CO2 d'une entité, généralement après une évaluation par un organisme agréé. Le processus d’obtention est plus ou moins exigeant selon la référence utilisée. Un audit indépendant est souvent nécessaire mais pas toujours obligatoire. Ces certificats sont souvent alignés sur des normes internationales (normes ISO). Ils peuvent être utilisés pour démontrer qu'un certain niveau de réduction a été atteint.

Quelle différence entre un certificat et un crédit carbone ?

Les certificats valorisent l'effort d’une de réduction d’émission. ils peuvent servir à attester de la réduction de l’empreinte carbone d’une entreprise, si la réduction en question est bien située dans sa chaine de valeur. Toutefois, ces certificats, qui peuvent émaner de nombreux acteurs différents, n’ont pas la même robustesse que les crédits carbone émis par les certificateurs reconnus. Les méthodes de calcul sont souvent moins précises, et les projets ne sont pas toujours audités, ce qui empêche parfois de garantir leur impact. C’est pour cette raison que les certificats carbone, contrairement aux crédits carbone, ne peuvent pas être utilisés par une entreprise dans sa stratégie de contribution carbone. Ils ne sont pas reconnus comme tels par les référentiels internationaux dans la comptabilité carbone pour certifier une trajectoire vers la neutralité.

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