Légumineuses en France, un enjeu de souveraineté alimentaire et de rentabilité

20 mai 2024

par
Yohann

Qu’est-ce que l’azote ? Il s’agit du 4ème élément nécessaire à la croissance des plantes après l’Oxygène, le Carbone et l’Hydrogène qui proviennent du dioxyde de carbone atmosphérique (CO2) ou de l’eau (H2O). L’azote, de formule chimique N, n’est assimilable par les plantes que sous forme minérale par les racines : l’ammonium (NH4+) et en majorité les nitrates (NO3-).

L'azote se transforme sans cesse dans le sol et entre le sol et l’atmosphère. Cet atome peut en effet se retrouver sous forme gazeuse dont la plus connue est le diazote (N2), élément constitutif de l’air à hauteur de 78% !  D’autres formes gazeuses existent telles que l’ammoniac (NH3) et les oxydes d’azotes dont le plus emblématique est le protoxyde d’azote (N2O), gaz à effet de serre 273 fois plus important que le CO2 selon le 6ème rapport du GIEC.

Ce gaz est naturellement émis dans l’atmosphère en très faible quantité à partir de l’azote organique des sols. Néanmoins, les apports massifs d’engrais azotés de synthèse, historiquement nécessaires pour assurer la croissance des rendements, favorisent ces émissions de protoxyde d’azote. Selon le label bas carbone, les émissions de protoxyde d’azote issues des engrais azotés de synthèse s’élèveraient à 1,6% de l’apport azoté total contre 0,6% pour l’azote d’origine organique !

Un des principaux leviers permettant de réduire les émissions de N2O consiste à introduire des légumineuses dans la rotation culturale. Les légumineuses forment une famille végétale où les plantes réalisent une symbiose avec des bactéries capable de transformer l’azote de l’air en azote minéral. Ce mécanisme permet à cette famille végétale de s’affranchir d’apports azotés de synthèse lors de sa culture au champ. Un des principaux leviers pour abaisser la consommation d’azote de synthèse d’une exploitation, et de fait son empreinte carbone, consiste à introduire des légumineuses dans la succession de cultures des exploitations agricoles, ou augmenter leurs surfaces.

Pourquoi les légumineuses ne représentent qu’une faible part des surfaces agricoles en France ?

Source : Agreste, surfaces en cultures hors fourrages, récolte 2023

Les légumineuses à graines ne représentent que 4% des surfaces cultivées (hors surfaces fourragères : prairies temporaires, maïs ensilage et méteil). De plus, environ 70% d’entre elles sont destinées à l’alimentation animale (pois protéagineux, féverole et soja). Les légumes à cosses (petits pois, haricots frais) et les légumes secs (haricots secs, pois secs, lentilles et pois chiches), consommés en alimentation humaine, ne représentent que 1% des surfaces cultivées en graines dans les champs français et, de fait, 30% des légumineuses à graines cultivées.

Une remarque, en voyant la multiplication des produits à base de soja dans les rayons de supermarchés certaines personnes pourraient penser que le soja est principalement à destination de l'alimentation humaine. C'est faux, en France le soja à destination de l'alimentation humaine ne représentait en 2022 que ~5-6% des volumes totaux de soja produit (source : FranceAgriMer).

Superficies en légumineuses à graines en France, de 1970 à 2013 (Gauche, Agreste) et Superficies cultivées en protéagineux et soja en France, de 1970 à 2013 (Droite, Agreste)

Cette faible importance des légumineuses dans les assolements français n’a pas toujours été la règle. De la fin des années 80 au début des années 2000, les surfaces en légumineuses atteignaient jusqu’à 800 000 hectares contre moins de 300 000 hectares en 2015. Ces surfaces ont néanmoins augmenté ces dernières années pour atteindre 370 000 hectares (hors légumes à cosse) en 2020.

La chute des surfaces s’explique principalement par une baisse drastique des pois protéagineux et dans une moindre mesure du soja, tandis que les surfaces en féverole ont augmenté dans le même temps. La tendance est à la reprise de la production des légumineuses et en particulier des légumes secs (environ 60 000 hectares en 2023) se rapprochant ainsi des surfaces plus observées depuis la fin des années 70 pour cette catégorie de légumineuses.

Historiquement, les légumineuses sont considérées comme des « têtes de rotation », c’est-à-dire les premières cultures d’une rotation d’espèces cultivées sur une même parcelle contribuant à favoriser la fertilité d’un sol avant la culture d’un blé. Le colza, le tournesol voire le maïs peuvent être considérés aujourd'hui comme des têtes de rotation par certains agriculteurs. Cette notion de « tête de rotation » préparant une culture de blé reste bien ancrée dans le paysage agricole bien qu’elle ait perdu de son sens premier étant donné que le colza ou le maïs nécessitent un fort apport de nutriments.

Les notions de succession culturale, de complémentarités entre les cultures et d’enchainement logique agronomiquement pour résoudre les problèmes culturaux (adventices, maladies, ravageurs) prennent de plus en plus d’importance dans le paysage agricole français.

Les légumineuses répondent non seulement au concept historique de « tête de rotation » permettant de fertiliser le sol avant la culture d’un blé mais présentent aussi des caractéristiques agronomiques très intéressantes pour résoudre des contraintes culturales : casser le cycle des ravageurs, lutter contre les graminées adventives (vulpin, raygrass) …

Malgré leurs atouts agronomiques, pourquoi les légumineuses ne sont-elles pas davantage cultivées ?

La principale raison est d’ordre économique. Les légumineuses sont nettement moins rentables que les autres « têtes de rotation » comme le colza. Les marges brutes dégagées par les légumineuses (hors contrats spécifiques) sont 1/3 à deux fois moins importantes que le colza ou le blé tendre.

Les légumineuses ont tendance à être délaissées d’un point de vue de la lutte contre les maladies et ravageurs étant donné qu’il s’agit d’une culture à faible valeur ajoutée voire considérée comme extensive. Cette conception est d’autant plus dommageable que ces espèces peuvent être fortement impactées par les maladies et ravageurs lors de printemps doux et humides. De plus, elles sont particulièrement sensibles au manque d’eau en fin de cycle qui pénalise le poids des grains et par voie de conséquence le rendement final.

Les agriculteurs cultivant des légumineuses s’intéressent à ces cultures dans une logique de rentabilité à l’échelle de la rotation. La rentabilité d’une telle culture doit se mesurer en prenant en compte l'ensemble des bénéfices pour les cultures suivantes et pas seulement comparer les marges annuelles. Une démarche d'évaluation pluriannuelle entre cultures permet d'évaluer les économies d’engrais azotés, d’herbicides et de semences de couverts.

Malgré ces différents avantages, les légumineuses manquent d’attractivité économique pour leur mise en culture, en particulier pour les espèces à destination de l’alimentation humaine.

Les importations sont plus compétitives que la production nationale

Les surfaces en féverole et pois protéagineux, destinées quasi exclusivement à l’alimentation animale, ont fortement chuté dans les années 90 en raison de la concurrence liée aux importations de soja et tourteaux de soja. En effet, le soja est un oléo-protéagineux, c’est-à-dire qu’il est capable de fixer l’azote de l’air comme toute légumineuse mais aussi de produire de l’huile. Le tourteau de soja est le co-produit issu de graines de soja dont l’huile a été extraite et qui est très riche en protéines.

Evolution des importations de soja sous forme de graines et de tourteaux (source : FAO)

L’importation de soja et tourteaux de soja a été favorisée dans les années 90 par l’accord de Blair House entre les Etats Unis et l’Union Européenne. Cet accord prévoyait l’entrée sans droit de douane du soja au sein de l'espace communautaire. Dans le même temps, la PAC de 1992 a mis un terme aux prix garantis et favorisait le découplage des aides à la surface à conduisant a une forte baisse de l’attractivité économique des protéagineux.

Du côté de l’alimentation humaine et en particulier les légumes secs, les agriculteurs français font face à une concurrence étrangère féroce. La production française de légumes secs couvrait environ 1/4 de la consommation nationale entre 2000 et 2013. (Source : Solagro). Ce ratio s’est amélioré au cours des dernières années avec notamment une croissance des surfaces en lentilles et pois chiche jusqu’en 2019 respectivement de 88% et de 270%. Par la suite, les surfaces ont eu tendance à s’éroder tandis que les importations ont augmenté.

Evolution de la production et des importations de lentilles en France (Source : Agreste)

Les lentilles en sont le parfait exemple avec une réduction de la production principalement liée à une réduction des surfaces à partir de 2020. De plus, le volume d’importations est de nouveau repassé au-dessus de la production nationale après 2020. Les origines canadiennes (67% des importations en 2023) et turques (11%) sont en pleine croissance avec des hausses respectives de 96% et 67% entre 2018 et 2023.

Toutefois, réduire le faible développement des légumineuses à graines à la seule concurrence étrangère serait néanmoins incomplet.

La consommation nationale structurellement en berne

La consommation française de légumes secs est passé de 7,2kg/personne/an en 1920 à 1,4kg au début des années 80 avant de remonter légèrement à 2,1kg en 2021/2022. A titre de comparaison, la consommation mondiale de légumes secs est évaluée à 6,7kg/personne/an avec de forts écarts comme le démontre la carte ci-dessous.

Carte de la consommation de chaque continent en légumes secs et à cosse (Source : Solagro)

Quelles sont les raisons de cette division par 3 de la consommation de légumineuses ? Malgré ses qualités nutritionnelles bien connues, les légumineuses étaient assimilées historiquement à la consommation des classes populaires tandis que la farine blanche et la viande étaient réservés aux élites. La croissance économique des 30 Glorieuses a fortement détourné les consommateurs de la consommation de légumes secs.

Pour dynamiser la consommation de ces légumineuses, plusieurs initiatives ont vu le jour pour faire valoir l’histoire locale et le terroir à travers les productions sous SIQO (Signes d’Identification de Qualité et d’Origine). On y retrouve entre autres les lentilles vertes du Berry (IGP), les mogettes de Vendée (IGP), les haricots tarbais (IGP), le haricot de Castelnaudary (IGP), le Lingot du Nord (IGP), la lentille verte du Puy (AOP/AOC) ou encore le Coco de Paimpol (AOP/AOC). Certains légumes secs sont en cours de reconnaissance à l’INAO - Institut National de l'Origine et de la Qualité - comme le Lentillon champenois (demande d’IGP) ou aussi la Lentille Blonde de Saint Flour (demande d’AOP).

  • L’Appellation d'Origine Protégée (AOP) désigne un produit dont toutes les étapes de production sont réalisées selon un savoir-faire reconnu dans une même aire géographique, qui donne ses caractéristiques au produit. C’est un signe européen qui protège le nom du produit dans toute l’Union européenne. (Définition de l’INAO)
  • L’Appellation d’Origine Contrôlée (AOC) désigne des produits répondant aux critères de l’AOP et protège la dénomination sur le territoire français. Elle constitue une étape vers l’AOP, désormais signe européen. (Définition de l’INAO)
  • L’Indication Géographique Protégée (IGP) identifie un produit agricole, brut ou transformé, dont la qualité, la réputation ou d’autres caractéristiques sont liées à son origine géographique.

Les légumes secs peuvent aussi être labellisé Label Rouge, sous condition de validation et d’enregistrement de l’INAO, permettant ainsi à des productions de ne pas être inféodés à une zone géographique. Le Label Rouge (LR) est le signe de qualité français qui désigne des produits, qui par leurs conditions de production ou de fabrication, ont un niveau de qualité supérieur par rapport aux autres produits courants similaires (définition officielle). C’est notamment le cas du flageolet vert, des lentilles vertes, du haricot, des haricots blancs et du lingot. Ainsi, un produit peut être à la fois IGP ou AOC ou AOP et Label Rouge.

Quelle dynamique à venir ?

Le développement des légumineuses, à destination de l’alimentation animale ou humaine, est un des principaux leviers de décarbonation des exploitations agricoles en grandes cultures. Afin de soutenir le développement de ces productions, plusieurs mesures existent déjà et méritent d’être mentionnées.

La nouvelle Politique Agricole Commune 2023-2027 permet, à travers les aides couplés, un soutien aux légumineuses à graines avec un montant d’aides de 104€/ha. Sachant qu’une marge brute à l’hectare se situe en moyenne entre 500 et 1000€/ha pour ce type de culture, ce montant n’est pas anecdotique. De plus, l’introduction de légumineuses dans une rotation concours à satisfaire l’éco-régime, programme rémunérant les pratiques favorables à la diversification des cultures.

Une stratégie nationale pour le développement des protéines végétales a été dotée en 2021/2022 de 120 millions d’euros par le biais de France Relance. Plusieurs projets collectifs soutenant la production et la valorisation de légumineuses ont été sélectionnés pour bénéficier de ce soutien financier.

D’un point de vue agronomique, la recherche doit se poursuivre pour favoriser la stabilisation voire la croissance des rendements par une meilleure résistance ou tolérance des cultures aux maladies et ravageurs. Ces améliorations doivent non seulement passer par la commercialisation de nouvelles variétés performantes et aussi par des pratiques culturales innovantes. Une augmentation de la productivité, sans impacter l’environnement, permettrait d’améliorer la compétitivité de ce type de culture.

En ce qui concerne les légumineuses à destination de l’alimentation humaine, seule une hausse de la consommation de légumes secs permettrait d’augmenter les surfaces cultivées. Sur ce point, les cuisiniers jouent un rôle central pour nous faire redécouvrir ces aliments et sensibiliser nos papilles à de nouveaux plats faciles à préparer !

Un des freins à l’achat de légumes secs réside dans la difficulté à cuisiner cette matière première qui nécessite souvent plusieurs phases de transformation : trempage pendant plusieurs heures, blanchissement, cuisson et tant d’autres opérations sont autant d’actions qui freinent le consommateur à leur consommation. De plus, la cuisine de ces aliments doit être redécouverte et innover pour attirer le consommateur. Les autorités publiques ont aussi un rôle à jouer sur la promotion de la consommation de légumes secs notamment à travers le Plan National Nutrition Santé mais ces actions ne peuvent être soutenues sans réel attrait des consommateurs pour ces denrées. Un marché dynamique rend les agriculteurs proactifs.

Un dernier levier de soutien économique concerne le financement via les crédits carbone dans le cadre du Label Bas Carbone. Chez ReSoil, nous accompagnons certains agriculteurs dans l’introduction de légumineuses au sein de sein de leurs rotations culturales afin de baisser leur empreinte carbone !


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